Le Temps de l'Avent
Son histoire, sa signification

Père Michel MENDEZ

Le mot AVENT vient du latin adventum qui signifie arrivée, avènement; il répond au mot grec parousie. Ce mot a été de bonne heure employé dans l'Église pour désigner la période de l'année liturgique qui précède immédiatement la fête de la Nativité du Sauveur et lui sert de préparation.
Il n'est pas aisé de fixer avec exactitude l'époque à laquelle l'Église institua cet usage du temps de l'Avent. Il faut descendre jusqu'au VIème siècle pour trouver des traces indubitables de cet usage, et particulièrement en Gaule.
Le concile de Tours en 567 (Tours II, canon 19) et le concile de Mâcon de 581 (Mâcon I, canon 9) nous parlent d'une période de jeûne entre la fête de saint Martin ett la Nativité du Seigneur : « De la fête de saint Martin à la Nativité du Seigneur, on jeûnera le lundi, le mercredi et le vendredi »; pour les sacrifices (eucharistiques) on suivra l'ordo en usage pour le Carême. Grégoire de Tours s'exprime de la même manière (Histoire des Francs, 1-10, ch. 31). Cette période (du 12 novembre au 25 décembre) durait donc quarante-deux jours (6 fois 7 jours).
D'après ces renseignements, on serait tenté de penser, comme certains auteurs l'ont fait, que l'Avent fut institué en Gaule vers le début du Vème siècle (ou la fin du IVème), que son usage pénétra en Italie au VIème siècle, puis se répandit dans toute l'Église latine; saint Benoît, en effet, mort en 543, n'en souffle mot dans sa Règle.
On a pourtant découvert à Ravenne un rouleau (rotulus) liturgique contenant une collection d'oraisons et d'antiennes qui se rapportent toutes au temps de l'Avent et qui pourraient bien avoir été écrites à l'époque du concile d'Éphèse (431); d'autre part, un canon du concile de Saragosse, de 380, permet de placer l'Avent, ou quelque chose qui lui ressemble, en Espagne, à la fin du IVème siècle.
Dans les Églises grecques, cet usage ne fut introduit que plus tard, et ne comprend que trois semaines (dimanche des ancêtres du Seigneur, dimanche des Patriarches ou de la généalogie).
De nos jours, l'Avent est considéré comme le début de l'année liturgique, c'est pourquoi les calendriers liturgiques débutent au 1er dimanche de l'Avent. Ceci est bien logique, puisque c'est avec l'Avènement du Christ que tout commence dans l'Église; du reste, l'Avent est liturgiquement la figure des temps écoulés avant la venue du Messie.
Dans les documents liturgiques qui nous sont parvenus de l'âge d'or de la liturgie (Ve et VIe siècles), l'Avent se présente tout d'abord, et surtout en Gaule, comme une sorte de Carême d'hiver. Débutant le lendemain de la saint Martin, il comprend donc six dimanches avant Noël; ce système a prévalu dans toutes les Églises d'usage gallican (Gaules, Italie du Nord, Bretagne et Espagne). Les sacramentaires gallicans, et surtout wisigothiques et ambrosiens, sont particulièrement riches en textes pour ce temps liturgique : antiennes, préfaces, immolatio, collectes post nomina, dans un style plein de saveur et de science biblique, nous exposent la doctrine de l'Avent.
Comme nous l'avons déjà dit, les Églises prescrivent un jeûne pour cette période liturgique, lui donnant ainsi un caractère pénitentiel, comme au Carême. Toutefois, ce caractère s'est accentué avec le temps, en particulier dans le rite romain; on a été entraîné dans cette voie par l'analogie que présentent naturellement le Carême et l'Avent. À l'origine, il n'en était pas ainsi : la présence de l’alléluia et des autres chants joyeux nous le démontre; les textes des anciens sacramentaires n'ont pas ce caractère de pénitence que l'on trouve dans ceux du Carême.
La doctrine de l'Avent se trouve exposée tant dans les lectures que dans les formules liturgiques proprement dites.
C'est l'avènement prochain du Fils de Dieu dans la chair, auquel il faut se préparer par une plus grande vigilance et par la pratique des œuvres de charité.
C'est la voix des prophètes annonçant le Messie qui vient.
C'est le monde dans l'attente de son rédempteur qui soupire, telle une terre aride, après la rosée du ciel.
C'est saint Paul exhortant les fidèles, les réveillant de leur sommeil, à la veille de la venue du Christ.
C'est Jean Baptiste, le dernier d'une longue série de prophètes, qui crie : DANS LE DESERT PREPAREZ LES CHEMINS DU SEIGNEUR !
C'est Marie à qui l'ange vient annoncer que le Messie naîtrait d'elle.
Trois personnages apparaissent au premier plan dans ce paysage : Isaïe, Jean Baptiste et Marie, les trois colonnes de l'Avent tel que nous le vivons aujourd'hui dans notre rite.
On peut dire que chaque année, par la liturgie, Isaïe, sous le souffle de l'Esprit-Saint, accomplit à nouveau sa «carrière» de prophète, annonçant et préparant la venue du Sauveur. Dans les vigiles du 1er dimanche de l'Avent, le lecteur annonce : COMMENCEMENT DU LIVRE D'ISAÏE LE PROPHETE, et il ne refermera ce livre que la veille de Noël, après la lecture du dernier chapitre. Un même prophète fournit donc la presque totalité des lectures de ce temps de l'Avent ; ses cris de miséricorde et d'espérance se prolongeront encore dans les répons, les antiennes et les graduels : l'Église ne se lasse pas d'entendre celui que saint Jérôme appelle l'évangéliste de l'ancienne alliance, tant sont précises ses allusions concernant la venue du Rédempteur, son origine humaine et divine, sa naissance d'une vierge, ses souffrances, sa mort, sa glorification et la propagation de son royaume sur la terre.
Par ce choix, d'ailleurs, la liturgie ne fait que reconnaître une prééminence établie par Dieu lui-même. Aux heures importantes de la vie terrestre du Sauveur, c'est toujours Isaïe qui est cité comme témoin. L'ange Gabriel emprunte ses paroles, dans son message à Marie (Lc 1,31 = Is 61, 1).
Isaïe, fils d'Amoç, naquit à Jérusalem vers 765 avant le Christ, d'une famille de l'aristocratie judéenne, et son ministère s'étendit de l'an 739 aux environs de l'an 698. Sa science et sa force, Isaïe les puise dans la contemplation de Dieu, cette source divine alimente sa mission extérieure. C'est dans le temple, près de l'autel, au milieu des nuages d'encens, au son de voix si puissantes que les portes du sanctuaire en sont ébranlées, que l'Esprit-Saint purifie le cœur du prophète et délie sa langue. Ainsi nous l'a conté Isaïe lui-même au chapitre 6 de son livre.
L'Esprit de Dieu a allumé dans l'âme du prophète un désir immense du Sauveur, et toute l'œuvre d'Isaïe jaillit de ce foyer incandescent.
En vérité, une longue série de messagers sont venus de la part de Dieu depuis le commencement de l'histoire, et tous n'avaient qu'un cri : LE VOICI, IL VIENT !
Aucun, toutefois, n'a étendu le regard aussi loin et annoncé au peuple d'Israël l'histoire du Christ avec une telle plénitude et une telle lumière.
Mais c'est par son style plus encore que par le contenu de ses oracles qu'Isaïe s'impose comme « première trompette » de la partition de l'Avent. Les Pères de l'Église ont célébré la limpide beauté de son style et l'éclatante nouveauté de ses images; par la force nerveuse de sa poésie, l'ampleur de son souffle et l'habileté de ses procédés, il fait pénétrer sans peine dans notre mémoire les points importants de son message.
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Des six dimanches de l'Avent, il en est trois dont les évangiles sont entièrement consacrés à saint Jean Baptiste, sans compter un très grand nombre d'antiennes et de répons se rattachant â la mission du Précurseur ou à sa personne. Ces évangiles mettent en relief les caractéristiques principales du rôle de Jean Baptiste dans l'économie du salut.
Jean Baptiste manifeste une sainte impatience pour le Désiré des nations; une telle impatience avait animé, il est vrai, tous les justes de l'Ancienne Alliance : Heureux les yeux qui voient ce que vous voyez! car je vous le dis, beaucoup de prophètes et de rois ont désiré voir ce que vous voyez et ne l'ont pas vu, entendre ce que vous entendez et ne l'ont pas entendu (Lc 10, 23-24).
Jean Baptiste donne à cette impatience une ardeur particulière et un sens théologique nouveau; il est l'homme qui, retrouvant le chemin perdu du paradis, parvient à l'entrée de ce lieu interdit et frappe avec vigueur : Ouvrez-vous, portes éternelles ! (Ps 24), non point tant pour y entrer lui-même que pour en faire sortir le Salut de Dieu.
La liturgie voudrait donc nous mettre à son école; le chemin du paradis est un chemin solitaire où le désir de Dieu occupe toute la pensée, tout le vouloir humain; saint Grégoire le Théologien s'exprime ainsi : « Ce Dieu désire être désiré... il veut que les hommes aient soif de lui ; tout infini qu'il est en lui-même, et plein de sa propre richesse, nous pouvons néanmoins l'obliger en lui demandant qu'il nous oblige, car il donne plus volontiers que les autres ne reçoivent ».
Le désir de Jean Baptiste provoque, l'incarnation du Verbe divin, l'Époux de nos âmes selon la propre parole du Précurseur (Jn 3, 29).
Une telle audace, cependant, n'est point de la présomption, car elle a l'humilité pour contrepoids.
Dans son homélie pour le 4° dimanche de l'Avent (le 5ème dans notre rite), saint Grégoire le Grand écrit : Jean-Baptiste [...] était d'une telle vertu qu'il aurait pu passer pour le Christ, mais il choisit résolument de demeurer lui-même, sans se laisser sottement enfler par l'estime des hommes....
Ceci fait écho aux paroles de Jean Baptiste : Il vient, celui qui est plus puissant que moi... et je ne suis pas digne de délier la courroie de sa sandale.
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La liturgie de l'attente du Messie ne saurait être une œuvre achevée ni efficace sans le témoignage de Marie.
Marie se trouve naturellement au centre de ce mystère, puisque la gestation divine s'opère d'abord en elle, dans son propre corps. Nous aussi, nous devons concevoir le Christ en nous par la foi et la charité. Pour assurer cette communion, la liturgie ne perd pas un instant de vue la très sainte Mère de Dieu. L'Église nous le rappelle en deux circonstances particulières. Le 21 Novembre – qui tombe toujours pendant l’Avent -  est consacré à la solennité de l'Entrée de la Vierge au Temple, mystère si important qu'il devrait faire l'objet d'une étude particulière.
Placée au début du temps de l'Avent, cette fête a une double signification :

Le vendredi de la quatrième semaine de l’Avent nous permet de célébrer une fois encore la Mère de Dieu pendant l'Avent. L'évangile de ce vendredi, en effet, nous propose le récit de l'Annonciation  Cet événement, cependant était célébrés depuis 692 à la date du 25 mars. La liturgie semble ici se répéter. Nous savons pourtant que cet usage est très ancien en Gaule et en Espagne.
Le concile de Tolède, de 656, prescrit :... « que dans toute l'Espagne, selon ce qui se pratique ailleurs, la fête de l'Annonciation soit célébrée le 18 décembre, sept jours avant la nativité du Sauveur.... » Or ce vendredi de la quatrième semaine tombe toujours aux environs du 18 décembre. On a longtemps célébré ce jour-là, en France, en Espagne et aux Pays-Bas, une fête appelée « Attente des couches de la bienheureuse Vierge Marie »(expectatio partus b.V.M.).
Le 18 décembre ne faisait pas concurrence au 25 mars, cette célébration avait sa signification propre. Placé à la fin du temps de l'Avent, le rappel de l'Annonciation apparaît comme la réponse à l'attente du peuple juif et de ses prophètes; c'est le nuage grand comme la main d'un homme qui monte à l'horizon, du côté de la mer, après une sécheresse de trois ans (1R19, 44).
Pour Dieu, mille ans sont comme un jour. En quarante-deux jours, l'Église veut nous faire revivre des millénaires d'espérance; Marie est l'Étoile du matin qui annonce la fin de la nuit et l'apparition du Soleil de justice. Préparer le règne de cet orient mystique en nous conformant aux attitudes spirituelles d'Isaïe, de Jean Baptiste et de la Mère de Dieu, en méditant la signification mystérieuse de leurs vies, est, pour ce temps de l'Avent, un programme inépuisable, marqué du sceau de la Tradition. Comme ces justes de l'Ancienne Alliance, qui ont attendu, désiré, préparé l'avènement du Christ, son incarnation, sa naissance de la Vierge, préparons-nous et préparons le monde à son retour glorieux.


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