LA PRIERE DU CŒUR PAR LE P. MARTIN DE COCHEM
FRÈRE MINEUR CAPUCIN
Traduit de l'Allemand par A. RUGEMER, o. s. c.
CHAPITRE PREMIER
NÉCESSITÉ DE LA PRIERE
Les Pères de l'Eglise sont unanimes à affirmer
la nécessité de la prière. Selon leur doctrine, tout
ce dont l'homme a besoin pour son corps, pour son âme, dans le temps
et dans l'éternité, il l'obtient par la prière; au point
que Dieu ne fait descendre du ciel sur la terre aucun don, aucune grâce,
s'il n'en a été préalablement sollicité. Saint
Grégoire et saint Thomas appuient leur enseignement à cet égard
sur ces paroles de Jésus-Christ : « Demandez et vous recevrez,
cherchez et vous trouverez, frappez et l'on vous ouvrira » .
Saint Chrysostome appelle la prière le fondement, la base de toutes
les vertus. Comme une maison ne peut subsister sans fondement, notre vie chrétienne
ne peut subsister sans la prière. Oui, il faut prier sans cesse, car
la prière nous est aussi nécessaire que l'humidité est
indispensable aux racines de l'arbre. Privé d'eau, l'arbre ne portera
point de fruit; privée de la prière, l'âme ne produira
aucune bonne oeuvre. J'estime qu'il est impossible, sans la prière,
d'acquérir une seule vertu, de la sauvegarder, de la pratiquer. Quand
vous omettez la prière, votre âme ressent un malaise semblable
à celui du poisson hors de l'eau, car si l'eau est la vie du poisson,
la prière est la vie de l'âme. Sans la prière vous êtes
mort.
Saint Ambroise parle de même. La prière étant la nourriture
de notre âme, un homme qui ne prie pas meurt spirituellement. Donc,
s'il vous est impossible de prier sans cesse, consacrez au moins un certain
temps à réconforter votre âme de ce pain de vie, de peur
qu'elle ne dépérisse et qu'elle meure. Priver son âme
de la prière, c'est la tuer.
Les expressions de saint Bonaventure sont presque identiques. Comme les abeilles
privées de miel, meurent, un mur sans mortier s'écroule, des
mets sans sel se corrompent : chez l'homme qui ne prie pas, la piété
se dessèche et sera bientôt anéantie. Cet homme n'est
pas seulement misérable, il porte aux yeux de Dieu une âme morte
dans un corps vivant.
Ces enseignements des saints Docteurs établissent clairement la nécessité
de la prière et le danger imminent qu'il y a à ne prier que
rarement ou jamais.
O Chrétiens, aimez la prière, appliquez-vous-y toujours davantage
et cherchez à la rendre plus parfaite. Appliquez-vous-y d'autant plus
que le démon vous poursuit sans trêve, essayant par mille ruses
de vous tromper, de vous séduire, de vous perdre. L'apôtre saint
Pierre le dit : « Mes frères, soyez sobres et veillez, car le
démon votre ennemi tourne sans cesse autour de vous comme un lion rugissant,
cherchant qui il pourra dévorer » . De son côté,
saint Paul nous avertit que nous n'avons pas seulement à combattre
« contre la chair et le sang, mais contre les princes de ce monde de
ténèbres » , c'est-à-dire contre le diable et ses
suppôts, dont la puissance surpasse la puissance du monde. Comment pauvres
et faibles hommes que nous sommes, pourrions-nous lutter contre ces lions
rugissants, ces loups ravisseurs, ces princes des ténèbres,
ces puissances infernales, sans un secours d'en haut? Comment ce secours nous
sera-t-il accordé, si nous ne le demandons instamment?
Sur ce passage de l'Ecriture : « Tant que Moïse priait, son peuple
était vainqueur, mais quand ses bras lassés retombaient, la
victoire passait aux ennemis », saint Chrysostome dit : « Nul
n'est excusable s'il est terrassé par son adversaire parce qu'il a
cessé de prier. Interrompre la prière, c'est donner tout pouvoir
au démon; l’abandonner, c'est se constituer son prisonnier. Au
contraire, chaque fois que vous priez, vous accablez d'angoisses notre infernal
ennemi qui se sent alors affaibli. L'arme de la prière le met en déroute
aussi rapidement qu'un meurtrier fuit à l'approche de la justice. »
Ceci explique pourquoi tant de personnes, en religion ou dans le siècle,
sont si souvent et si fortement tentées et vaincues par la chair, le
monde et les créatures : elles ne prient pas, ou pas assez, ou pas
comme il faut. Saint Jean Chrysostome le dit : « Celui qui ne vaque
pas à la prière, court au devant des tentations, et quand je
vois un homme qui n'aime pas la prière, je le tiens pour peu vertueux.
Au contraire, une âme se montre-t-elle avide de prier, estime-t-elle
comme un grand dommage l'omission de la prière, je la reconnais pour
un vrai temple de Dieu, un vase plein de précieuses vertus. »