LA PRIERE DU CŒUR PAR LE P. MARTIN DE COCHEM
FRÈRE MINEUR CAPUCIN
Traduit de l'Allemand par A. RUGEMER, o. s. c.
CHAPITRE TROISIEME
DE LA PRIÈRE CONTINUELLE
Saint Ambroise dit : « Quand vous lisez, c'est Dieu qui
vous parle, mais quand vous priez, c'est vous qui parlez à Dieu. »
Ces quelques mots font ressortir l'excellence de la .prière. L'âme
en est élevée jusqu'à Dieu, elle y reçoit l'immense
honneur, la grâce inestimable de traiter avec Lui! Pour se faire entendre
des hommes, il faut nécessairement user de la langue, l'homme étant
un être matériel qui ne saurait comprendre sans le secours des
signes sensibles, des sons articulés. Il en est bien autrement de Dieu
qui n'a besoin, pour comprendre, d'aucune parole, d'aucun signe : il suffit
de répandre notre cœur en sa présence et nos plus secrètes
pensées sont à découvert devant lui : « Dieu est
Esprit, et ceux qui l'adorent doivent l'adorer en esprit et en vérité
» .
Le divin Maître nous révèle par ces mots la supériorité
de la prière mentale sur la prière vocale, et nous enseigne
qu'il est plus avantageux de prier seulement du cœur que de prier des
seules lèvres. Expliquant ce passage de l'Evangile, saint Grégoire
dit : « La vraie prière ne consiste pas en des paroles, mais
dans les pensées du cœur; ce ne sont pas les mots, mais les désirs
qui crient vers Dieu. Si nous demandons la vie éternelle de bouche
seulement, si haut que s'élèvent nos clameurs, nous demeurerons
muets; mais par un désir véhément du cœur, notre
appel percera les nues et pénétrera jusqu'au trône de
Dieu. »
Une foule de personnes errent sur ce point. Elles se donnent beaucoup de peine
sans aucun profit, leurs interminables prières n'étant qu'un
vain mouvement des lèvres, auquel ne se joint aucune attention. Savent-elles
seulement ce qu'elles disent? Vraiment c'est pitié de voir ainsi se
conduire beaucoup de ceux qui sont consacrés à Dieu, aussi bien
que les gens du monde. Pourvu qu'ils aient récité quantité
de Pater ou lu nombre de pages sur un recueil, ils se croient fort dévots
et âmes de grande oraison.
Evidemment, il y a des prières à réciter d'une manière
distincte : l'office ecclésiastique, les formules indulgenciées,
le saint Rosaire, la pénitence imposée par le confesseur, etc.
Mais quand il s'agit d'une prière laissée à notre choix,
elle sera certainement plus efficace, plus fervente, si nous l'adressons à
Dieu mentalement, si elle est un mouvement spontané de notre cœur
vers lui. Inutile d'invoquer ici le témoignage de l'Ecriture ou celui
des Pères; notre expérience suffit. Dites-moi, ô Chrétien,
quand vous lisez dans un formulaire ou que vous récitez de mémoire
une suite d'oraisons, n'est-il pas vrai que vous vous sentez presque toujours
distrait, le cœur sec, et que votre imagination se livre à tous
les écarts? Au contraire, si vous répandez votre cœur devant
Dieu par une prière mentale, tout votre être est concentré
sur ce colloque intime, une douce onction, une ineffable consolation vous
pénètre tout entier.
Puisqu'il en est ainsi, pourquoi ne pas changer vos longues prières
vocales contre l'oraison mentale? Comment s'y prendre? dites-vous. Jésus
vous l'enseigne : « Quand vous priez, ne multipliez pas les paroles
comme font les païens qui s'imaginent d'être exaucés à
force de paroles... Votre Père sait de quoi vous avez besoin avant
que vous le lui demandiez» . Ainsi donc employez peu de mots, contentez-vous
d'exposer vos besoins au Père du ciel. Plus votre prière sera
simple, humble, candide, plus elle plaira à Dieu et sera puissante
auprès de lui. Témoin le publicain de l'Evangile. Il se tenait
à la porte du temple, n'osant lever les yeux au ciel, et se frappait
la poitrine disant : « Seigneur, ayez pitié de moi qui suis un
pauvre pécheur » . Sans doute, il aura répété
maintes fois la même supplication, et à chaque fois son repentir
aura été plus parfait.
Ailleurs, nous voyons la cananéenne suivre le Sauveur et crier : «
Jésus, fils de David, ayez pitié de moi! » . Elle aussi
a répété sans se lasser le cri de son cœur de mère,
puisque les disciples priaient le Seigneur de l'exaucer pour les délivrer
de ses cris. Vous connaissez le miracle obtenu par cette prière.
Enfin, au Jardin des Oliviers, Jésus-Christ lui aussi a répété
trois fois sa prière : « Mon Père, s'il est possible,
que ce calice passe loin de moi! Cependant, que votre volonté soit
faite et non la mienne » . Voulant nous enseigner par là que
pour bien prier, peu de paroles suffisent, et que pour enflammer l'esprit,
il est bon d'en choisir quelques-unes et de les répéter souvent.
Il est rapporté dans la vie des Pères, que saint Paphnuce après
avoir converti la pécheresse Thaïs, l'enferma dans une étroite
cellule, percée d'une seule fenêtre, par laquelle on lui portait
chaque jour du pain et de l'eau pour sa nourriture. Puis, comme elle lui demandait
à quelles prières elle devait s'appliquer, il lui dit : «
A cause de tes énormes péchés, tu n'es pas digne de prononcer
le nom de Dieu; pour toute prière, dis seulement ces paroles : «
Vous qui m'avez créée, ayez pitié de moi ! » Pendant
trois ans, la recluse pénitente soupira de cette manière vers
son Créateur, lavant ses péchés de ses larmes. Or, une
nuit, Paul, disciple de saint Antoine, eut une vision : le ciel s'ouvrait,
et un trône magnifique y était préparé pour un
bienheureux. Tandis qu'il se demandait à tant de gloire était
réservée, une voix lui dit : « Ce trône est destiné
à la pécheresse Thaïs. » Informé de cette
vision, saint Paphnuce rendit la liberté à sa pénitente,
et Thaïs mourût saintement quelques jours plus tard.
De même, saint Antoine, solitaire, avait un disciple qui vint lui manifester
un jour son grand désir d'aller visiter d'autres solitaires renommés,
pour apprendre d'eux la bonne manière de servir Dieu et de prier. «
Mon fils, lui dit le saint, oubliez tous les autres exercices, demeurez dans
votre cellule, répétez du fond du cœur ces paroles du publicain
: Seigneur, ayez pitié de moi qui suis un pauvre pécheur; et
vous serez parfait. »
Oui, quand vous voulez prier efficacement, soupirez dans votre cœur :
Mon Dieu, ayez pitié de moi! Vous en aurez dit assez, car ces paroles
renferment la confession de nos péchés, aussi bien que la demande
du pardon. Qui dit : Mon Dieu, ayez pitié de moi! reçoit le
pardon de ses péchés et n'a plus de châtiment à
craindre. Qui dit : Ayez pitié de moi! gagne le royaume du ciel, car
celui que Dieu prend en pitié n'est pas seulement délivré
de la peine due au péché, il est encore autorisé à
rentrer en possession des biens éternels. Ah ! puisque tel est le mérite
de cette brève aspiration, répétez-la sans cesse, comme
si elle était la respiration même de votre âme.
J'insiste sur ce point : ne surchargez pas votre mémoire de longues
et nombreuses formules; il suffit de quelque courte invocation, choisie parmi
celles qui touchent l'âme le plus vivement et l'inclinent vers l'humilité
et la contrition. Cette aspiration répétée renouvellera
à chaque instant votre esprit. Eussiez-vous imploré la miséricorde
divine mille et mille fois comme la pécheresse Thaïs, ne vous
lassez pas de l'implorer encore nuit et jour, jusqu'au dernier instant de
votre vie.
Les belles paroles n'émeuvent notre Dieu : c'est le cœur contrit
et humilié qui lui fait violence. Du reste, pour le choix plus facile,
nous avons réuni ci-après un certain nombre d'oraisons jaculatoires.
Ces rapides élans de l'âme peuvent se pratiquer avec grand fruit,
même pendant la récitation des heures canoniales, car ils excitent
l'amour de Dieu et prémunissent l'esprit contre les distractions. Assurément,
le texte sacré du saint Office doit être prononcé seul,
mais il est très bon d'entremêler à la prière quelques
soupirs enflammés, pour affermir la dévotion et la soutenir
jusqu'au bout.