LA PRIERE DU CŒUR PAR LE P. MARTIN DE COCHEM
FRÈRE MINEUR CAPUCIN
Traduit de l'Allemand par A. RUGEMER, o. s. c.
CHAPITRE QUATRIEME
COMBIEN LA MÉDITATION EST FACILE
Je n'écris pas ceci pour des personnes savantes et spirituelles,
mille fois plus habiles que moi dans l'oraison. Mon livre s'adresse aux âmes
simples; c'est elles que je veux enseigner à faire oraison. Désir
ambitieux, car le plus souvent elles témoignent une grande appréhension
de cette manière de prier. Elles ne veulent pas même en entendre
parler et prétendent ensuite que la pratique en est impossible. Or,
comme la méditation est indispensable pour atteindre à la vraie
dévotion; comme sans elle toutes les autres pratiques de piété
ne sont plus de que sèches et inutiles répétitions; je
prendrai par la main ces âmes simples et droites et les conduirai sur
un chemin doux et facile jusqu'à la vraie méditation.
Les maîtres de la vie spirituelle apprennent à leurs disciples
une méthode précise pour méditer les mystères
de la vie et de la mort du Seigneur, la laideur du péché, l'amertume
de la mort, les frayeurs du jugement, les tourments de l'enfer, la misère
humaine. Ils leurs disent de considérer ces points, de raisonner quelque
temps, de produire ensuite des actes de crainte, de haine, d'amour, de compassion.
Certes je ne désapprouve pas cette méthode.
Il me semble cependant, que l'âme retirerait déjà un grand
avantage, si elle se bornait à une vive représentation du mystère
qu'elle veut méditer, et si, sous cette impression, elle envoyait vers
Dieu des soupirs et de brûlantes aspirations. Ainsi, au lieu de vous
fatiguer l'esprit à chercher des arguments et des considérations
élevées, suivez la simple marche que voici.
Arrivé au lieu de la prière, jetez-vous à genoux, tracez
sur vous le signe de la croix, invoquez l'Esprit-Saint. Adorez le Dieu trois
fois saint, et, rempli du sentiment de sa présence adorable, soupirez
vers lui, implorez l'abondance de sa grâce. Un exemple vous fera mieux
saisir ma pensée.
Le serviteur d'un roi était, pour certain crime, tombé en sa
disgrâce. Un jour enfin, trouvant l'occasion favorable d'être
admis à l'audience royale, il se jeta aux genoux du prince et d'une
voix émue et les yeux pleins de larmes, il s'écria : «
Très gracieux seigneur, j'ai grièvement offensé votre
majesté et encouru sa juste indignation, cependant j'ose me prosterner
à vos pieds et solliciter mon pardon! » Le roi feignit de ne
pas entendre cette humble supplique; néanmoins le coupable, toujours
prosterné, attendait une réponse qui n'arrivait pas. Après
un certain temps, ce malheureux reprit la parole avec un profond soupir :
« Ah! Monseigneur, pour l'amour de Dieu. daignez me pardonner! »
Mais le souverain irrité gardait le silence, tandis que le serviteur
repentant dont les soupirs et les sanglots remplissaient la salle, continuait
de crier : « Grâce et pardon! » — « Sortez d'ici
», commanda enfin le roi d'un ton sévère. Le lendemain,
cet infortuné serviteur trouvait encore moyen d'être admis à
l'audience. Il s'approcha de son maître avec la même humilité
et lui dit d'une voix touchante: « Mon maître et mon roi, quoique
je n'aie pu rien obtenir hier, je reviens à vous avec une confiance
plus parfaite en votre bonté; me voici de nouveau aux pieds de votre
majesté pour solliciter le pardon de mon crime. » Ne recevant
pas de réponse, il persistait dans ses plaintes, ses gémissements
et ses supplications. Le roi regardait avec complaisance un si touchant repentir,
et s'il retint les élans de son cœur pendant de longues semaines,
c'était pour mieux éprouver la persévérance de
son cher pénitent. Enfin il n'y tint plus, et l'attirant dans ses bras,
il l'embrassa paternellement, l'assurant de son plein pardon.
Chrétien, quand vous venez à l'audience du Roi des rois, conduisez-vous
comme cet habile solliciteur. Rappelez-vous bien que le Dieu de toute sainteté,
n'habite pas seulement au plus haut des cieux. mais qu'il e»t là,
tout proche de vous; bien plus, il a choisi votre cœur pour y reposer
comme sur un trône royal. Représentez-vous donc ce Dieu plein
de majesté, de gloire et de lumière, adorez-le, confessez-lui
vos innombrables péchés, suppliez-le de vous les pardonner.
Alors sans contrainte, sans détourner votre âme de sa céleste
occupation, dites en la savourant une des aspirations, qui vous sont familières
et répétez-la aussi longtemps qu'elle entretiendra votre dévotion.
Pensez aussi au publicain qui n'osait avancer dans le temple ni lever les
yeux vers le ciel, mais disait en se frappant la poitrine : « Seigneur,
ayez pitié de moi qui suis un pauvre pécheur! » Ayez pitié
de moi! voilà bien la prière de votre cœur. Dites - la
profondément incliné , comme écrasé sous le poids
de vos péchés; frappez-vous la poitrine et recommencez à
soupirer au fond de l'âme: « Seigneur!... pitié!... miséricorde!...
» et après une pause : « O mon Dieu, ayez pitié
du plus misérable des pécheurs! » Ainsi votre oraison
peut se prolonger assez longtemps, et ne fussiez-vous occupé qu'à
cela durant tout un quart d'heure, ce temps aura été bien employé.
Vous le voyez, ma manière de faire oraison est extrêmement simple
et convient fort bien aux personnes sans prétention. En vérité,
ces pauvres âmes en retireraient un avantage incomparable, infiniment
plus grand que celui qui leur revient de leurs rosaires, non médités
et récités du bout des lèvres. Si elles voulaient pratiquer
journellement cette méthode durant un mois, elles avanceraient à
grand pas dans la vie spirituelle. Aussi je les supplie, ces chères
âmes, d'en essayer au moins une seule semaine, et elles verront si elles
ne ressentent pas plus de dévotion qu'elles n'en ont jamais eu dans
leurs autres prières.
Cette méthode, dans sa simplicité, convient également
aux personnes instruites, car les paroles du publicain renferment tout ce
qui peut être nécessaire à l'homme, dans le temps et dans
l'éternité. Si sa prière est exaucée, n'aura-t-il
pas reçu le seul bien désirable? Quelqu'un s'étonnerait-il
de mes assertions? Qu'il écoute la voix de l'éternelle Vérité
: Celui-ci (le publicain) s'en retourna justifié. C'est-à-dire,
de scélérat il fut transformé en homme pieux, de pécheur
public en homme juste, d'enfant de colère en fils du Père céleste,
héritier du royaume des cieux. C'est là le sens de la parabole
et la raison pour laquelle Jésus-Christ enseigne en quelque façon
cette formule à tout le monde. Il veut nous faire imiter la conduite
du publicain au temple et que tous nous répétions sa prière.
J'ajoute que cette supplication est d'autant plus efficace que, peu à
peu, elle touchera votre âme, jusqu'à ce qu'elle l'ait enfin
remplie d'une sincère contrition. Saint Antoine aussi témoigne
en sa faveur, quand il dit à son disciple : « Oubliez tous les
autres exercices et répétez du fond du cœur : Mon Dieu,
ayez pitié de moi qui suis un pauvre pécheur! et vous serez
parfait. » O la puissante prière qui assure la vie éternelle
à celui qui la répète souvent et sincèrement !
Thaïs, avec d'autres mots, exprimait le même sentiment. Aussi,
si vous êtes fatigué de la formule ci-dessus, essayez celle de
la sainte pénitente : « Vous qui m'avez créé, ayez
pitié de moi! » ou encore : « Seigneur, qui m'avez sauvé,
ayez pitié de moi! » Sortie du fond d'un cœur contrit et
humilié, cette prière vous assurera avec le pardon une immense
gloire au ciel.
Vous pouvez également employer le cri de la cananéenne : «
Jésus, Fils de David, ayez pitié de moi! » Ce cri a chassé
le démon de la fille possédée et transformé la
mère en disciple du Seigneur. « Jésus, Fils de David,
ayez pitié de moi! » « Jésus, Fils de Marie, ayez
pitié de moi! Jésus, Fils du Dieu éternel, ayez pitié
de moi! » Soyez-en sûr, quand vous aurez redit ces paroles ou
d'autres semblables avec beaucoup de ferveur, Satan et se* suppôts se
retireront et l'exercice des vertus vous deviendra facile.
Résumons. — Le publicain, Thaïs, la cananéenne, voilà
bien les maîtres de la prière pour les commençants. Leur
âme doit s'appliquer uniquement à demander grâce et miséricorde.
Les saints de l'ancien testament n'ont guère fait d'autre prière
: Miserere : ayez pitié, mon Dieu! En cela ils montrent une profonde
sagesse, car les vertus de l'homme et ses mérites, sans la miséricorde
et la grâce de Dieu, ne sauraient avoir de valeur. La grâce,-
l'amitié de Dieu, voilà l'incomparable trésor de l'âme,
il n'y en a pas de plus grand. Comment alors passer son temps à demander
autre chose ? Et comment implorer plus efficacement cette grâce que
par ce transport du cœur, par cet élan vers Dieu : Seigneur, ayez
pitié de moi! Notre cœur, fût-il de pierre, à force
de redire cette invocation, il deviendra sensible; le regret d'avoir offensé
le Dieu qu'on implore se ferait sentir, et quand le repentir entre dans une
âme, le péché en sort, la grâce divine s'y établit.
Il est bon d'entremêler à la prière ainsi comprise des
soupirs d'amour. Voici un trait de l'efficacité merveilleuse de ces
sortes d'élévations du cœur vers Dieu.
Un jour, Notre-Seigneur dit à sainte Mechtilde : « Le soupir
est si puissant, parce que l'homme ne soupire jamais vers moi sans s'approcher
davantage de mon cœur. » Le gémissement du repentir réconcilie
l'âme avec Dieu, appelle la grâce et attire la lumière
dans une conscience troublée. Quant au soupir d'amour, au soupir du
désir d'amour, il opère trois effets dans l'âme. Il la
fortifie comme une odeur agréable réconforte le corps, il l'illumine
comme le soleil illuminerait le plus profond abîme, enfin, il y répand
une telle onction que toutes les actions, toutes les souffrances mêmes
en sont adoucies.
Est-ce assez témoigner de la préférence du Seigneur pour
les élans du pauvre cœur humain vers son Sacré Cœur?
Je vous en conjure donc de nouveau, appliquez-vous bien pendant l'oraison
à ces mouvements et à ces transports de crainte et d'amour.
Puisque Jésus-Christ attache trois fruits excellents à chacun
de vos soupirs, calculez, si vous pouvez, l'abondante récolte qui vous
attend au ciel quand vous aurez bien exploité vos oraisons. Que dis-je?
c'est toujours et partout que vous pouvez recueillir ces fruits, puisque aucun
travail, aucun temps, aucun lieu, ne saurait vous empêcher de prier
ainsi.
Cette méthode pourra être appliquée avec succès,
soit à demander telle vertu particulière, soit à recommander
à Dieu notre prochain, ses intérêts spirituels et même
temporels, soit enfin, à obtenir l'exaltation de a sainte Eglise, la
conversion des pécheurs, l'extirpation des hérésies,
etc.