cliquer pour agrandir Pour en savoir plus sur le chrisme de Saint Césaire cliquer pour agrandir
Home
         

 

 

     

 

 

 

 

imprimer

Homélie 15

(Luc 8*4-15)

Homélie de Saint Grégoire le Grand adressée au peuple
dans la basilique du saint apôtre Paul

le dimanche de la Sexagésime

1

Mes frères très chers, comme vous venez de l’entendre, ce passage de l’Evangile n’a point besoin d’explication, mais appelle un avertissement : que la faiblesse humaine, en effet, ne prétende pas dis­cuter ce que la Vérité elle-même a expliqué. Il se trouve cependant dans cette explication du Seigneur un point sur lequel nous devons réfléchir particulièrement, car si nous vous avions dit nous-même : « La semence est le Verbe, le champ est le monde, les oiseaux représentent les dé­mons, les épines les richesses… », vous auriez peut-être hésité à nous croire…

Or voici pourquoi le Seigneur a daigné expliquer Lui-même ses pa­roles : pour que vous sachiez qu’il faut chercher aussi la signification de ce qu’Il n’a pas voulu expliquer. En donnant l’explication de ce qu’Il avait dit, Il montra clairement qu’Il parlait d’une manière figurée, et Il vous a ainsi convaincu que la fai­blesse de nos paroles est capable de déchiffrer ces figures. Qui me croirait, en effet, si de moi-même j’interprétais les épines comme les richesses, d’autant que les unes piquent et les autres charment ? Et c’est pourtant bien ainsi : les richesses sont des épines, car le soucis qu’elles entraînent déchirent l’âme de ses pointes, et quand elles conduisent jusqu’au péché, elles font souffrir comme une blessure. Et c’est bien là leur rôle ; d’ailleurs, selon un autre évangéliste, le Sei­gneur ne les nomme pas « richesses – tout – court » mais « richesses – trompeuses »1.

Trompeuses, oui, elles le sont vraiment, car elles ne peuvent pas demeu­rer toujours avec nous ! Trompeuses, car elles ne comblent pas la pau­vreté de notre intelligence ! Oui, seules sont véritables les richesses qui nous enrichissent de vertus. Si donc, mes frères très chers, vous êtes avides de richesses, aimez les vraies richesses, si vous recherchez le comble des honneurs, aspirez au Royaume céleste, si vous vous délectez du prestige d’un titre, hâtez-vous de vous faire inscrire dans la céleste assemblée des anges !

2

Les paroles du Seigneur que les oreilles ont entendues, que l’esprit les retienne : car la parole de Dieu est nourriture de l’esprit. Et quand le ventre de la mémoire ne retient pas la parole qu’il a entendue, il ressemble a un estomac faible qui rejette la nourriture qu’il reçoit. Or celui qui ne retient pas les aliments ne peut espérer vivre.

Ainsi donc, vous êtes en danger de mort éternelle si, recevant la nourriture d’une saine exhortation, vous ne gardez dans votre mémoire le Verbe de vie qui est l’aliment de la justice. Voyez comment disparaît tout ce que vous faites ! Et, que vous le vou­liez ou non, comment vous vous hâtez sans le moindre délai vers le ju­gement ultime ! Pourquoi donc aimer ce que nous devons quitter ? Pourquoi négliger le lieu où nous devons aller ? Souvenez-vous qu’il est écrit : « Entende qui a des oreilles pour entendre ! » Or tous ceux qui étaient là avaient des oreilles, des oreilles de chair ! Mais Celui qui a dit à ceux qui avaient des oreilles : « Entende qui a des oreilles pour entendre ! » parlait, sans nul doute, des oreilles du cœur…

Prenez garde, donc, que la parole que vous avez reçue demeure dans l’oreille de votre cœur ! Prenez garde que la semence ne tombe pas près du chemin, que l’esprit mauvais ne vienne et n’arrache la parole de votre mémoire ! Prenez garde que la terre caillouteuse ne reçoive la semence et qu’elle ne produise des fruits de bonnes œuvres sans racine de persévérance. Beaucoup en effet apprécient ce qu’ils entendent et se proposent d’en­treprendre des œuvres bonnes, mais bientôt, fatigués par les adversités naissantes, ils abandonnent ce qu’ils ont commencé.

C’est que le sol caillouteux n’a pas d’humidité qui puisse conduire ce qui germe jus­qu’aux fruits de la persévérance. Beaucoup de gens, écoutant un discours contre la convoitise, en dé­testent la convoitise et se font les partisans du mépris de toutes choses ; mais aussitôt que l’âme voit ce qu’elle convoite, elle oublie ce qu’elle approuvait. Beaucoup de gens, écoutant un discours contre la luxure, non seulement ne désirent plus souiller leur chair, mais rougissent de l’avoir souillée. Mais que l’éclat de la chair apparaisse à leurs yeux, aussitôt le désir emporte leur âme comme s’ils n’avaient jamais rien décidé contre ce désir-là. Et cette âme agit pour sa condamnation, elle qui s’était souve­nue de ce qu’elle avait fait et s’était déjà condamnée elle-même. Nous nous affligeons souvent de nos fautes et, après les avoir pleurées, nous y retournons.

Ainsi Balaâm pleura à la vue des tentes d’Israël et implora pour que sa mort soit semblable à la leur, en disant : « Que meure mon âme de la mort des justes et que ma fin soit comme leur fin »1. Mais aussitôt l’heure de la contrition passée, le vice de l’avarice l’en­flamma à nouveau, et, pour quelques cadeaux qu’on lui avait promis, il donna un conseil pour préparer la mort de ce peuple, mort dont il avait souhaité mourir lui-même ; et il oublia ce pourquoi il avait pleuré, car il ne voulut pas éteindre ce qui en lui brûlait par avarice.

3

Mais observons bien pourquoi, dans son explication, le Seigneur dit que les soucis, les plaisirs et les richesses étouffent la parole : ils l’étouffent en prenant l’esprit à la gorge par leurs pensées importunes, et, ce faisant, ils empêchent le bon vouloir de pénétrer dans le cœur, comme s’ils détruisaient l’effet du souffle de vie.
Notons aussi que le Seigneur associe aux richesses les soucis et les plai­sirs : par leurs inquiétudes, ils oppriment l’esprit, et par leur excès le dispersent. Ces deux choses contradictoires désespèrent ceux qui en sont possédés et les rendent inconstants ; en effet, comme les plaisirs et les soucis ne sont pas compatibles, tantôt le souci de conserver les richesses nous af­flige et tantôt l’opulence nous amollit dans les plaisirs.
Nb 23*10.

4

La bonne terre porte du fruit par la patience, car il est bien vrai que nous ne faisons rien de bon sans savoir supporter avec sérénité ce qui est mauvais chez notre prochain.

Plus on s’élève vers les choses célestes, plus rudes sont les réalités que nous devons affronter dans ce monde ; car lorsque notre esprit se dé­tache de l’amour du siècle présent, l’hostilité de ce siècle augmente. Voilà pourquoi la plupart des gens que nous voyons faire le bien peinent sous le lourd fardeau des tribulations : ils fuient déjà les désirs terrestres et, malgré cela, sont harcelés des maux les plus durs. Toutefois, selon la parole du Seigneur, ils portent du fruit par la patience, car s’étant humi­liés sous les coups, ils sont ensuite exaltés jusqu’au repos. De même que le raisin foulé aux pieds s’écoule en un vin savoureux, de même que l’olive broyée et pressée se sépare de la pulpe et devient une huile onctueuse, de même que le grain de blé battu sur l’aire se sépare de la balle et parvient purifié dans le grenier, que celui qui désire domp­ter entièrement les vices s’applique à supporter humblement les désa­gréments de sa purification, pour se présenter devant le juge d’autant plus propre que le feu de la tribulation l’aura purifié de sa rouille.

5

Sous le portique que l’on traverse pour se rendre à l’église Saint-Clément vivait un homme dénommé Servulus, que beaucoup ont connu tout comme moi.

Pauvre de biens et riches de vertus, ils fut consumé par une longue ma­ladie. Il était en effet paralysé depuis sa plus tendre enfance et le resta jusqu’à la fin de ses jours. Que dis-je ? Il ne pouvait même pas se tenir debout ! Il n’eut jamais la force ni de s’asseoir dans son lit, ni de porter la main à sa bouche, ni de se retourner d’un côté sur l’autre. Sa mère et son frère le servaient, et toutes les aumônes qu’il recevait par leurs mains, il les distribuait aux pauvres. Il ne savait pas lire, mais il s’était acheté les livres de la Sainte Ecriture, et, lorsqu’il recevait des hôtes religieux, il se les faisait lire sans répit.

Et de la sorte il était très versé dans les Saintes Ecritures, dans la mesure de ses capacités, bien qu’il ne sût pas lire, comme je l’ai déjà dit. Il s’efforçait toujours de rendre grâce dans la souffrance et consacrait ses jours et ses nuits à chanter hymnes et louanges à Dieu. Or quand vint le temps où tant de patience devait être récompensée, le mal s’étendit jusqu’aux organes vitaux, et quand il sut que sa mort était proche, il demanda aux étrangers qui étaient venus lui rendre visite de se lever et de chanter des psaumes avec lui pour attendre son départ.

Et soudain le moribond, qui psalmodiait avec eux, arrêta leurs voix et s’écria avec terreur : « Taisez-vous ! N’entendez-vous pas toutes ces louanges qui résonnent dans le ciel ? » Et comme il tendait l’oreille de son cœur vers les louanges qu’il entendait intérieurement, cette âme sainte fut détachée de la chair. En partant, elle répandit un parfum si suave que toute l’assistance fut remplie d’une douceur ineffable et con­nut ainsi que cette âme était reçue dans le ciel avec des louanges. D’ailleurs, un de nos moines, qui est encore bien vivant, assista à cet événement, et il témoigne toujours avec grande émotion que ce parfum suave ne se retira pas de leurs narines tant que le corps ne fut pas ense­veli.

Voilà de quelle manière cet homme quitta la vie, après avoir supporté les souffrances avec sérénité. Ainsi, selon la parole du Seigneur, la bonne terre, labourée par la charrue de la discipline intérieure, ayant porté du fruit par la patience, est parvenue au salaire de la récolte. Je vous en prie, frères très chers, imaginez quelle sorte d’excuse nous pourrions alléguer lors de cet inexorable jugement, nous qui avons reçu des richesses et l’usage de nos mains et qui sommes pourtant paralysés pour faire le bien, alors que cet homme accomplit les préceptes du Sei­gneur dans la pauvreté et sans l’usage de ses mains. Que ce jour-là le Seigneur ne cite contre nous les apôtres, qui par leur annonce ont entraîné derrière eux des foules de fidèles vers le Royaume.

Qu’Il ne fasse pas comparaître contre nous les martyrs, qui sont parvenus à la patrie céleste en répandant leur sang ; et que dirions-nous alors, à la vue de Servulus dont nous venons de parler, à qui une longue maladie liait les bras sans l’empêcher de faire le bien. Vous aussi, frères, agissez ainsi, entraînez-vous à rechercher les œuvres bonnes, afin que, vous proposant d’imiter les justes maintenant, vous puissiez, en ce jour-là, être associés à, leur sort.

***


Sommaire

     
commenter la page
 


 
accueil I être orthodoxe I lieux de célébration I lire et méditer I voir et entendre I dialogues spirituels