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Alleluia
son origine et son emploi dans la liturgie occidentale

par Mgr Grégoire

 Les Eglises Orthodoxes célèbrent toujours le culte – à quelques exceptions près - en langue vernaculaire. A chaque époque ces Eglises se sont efforcées de suivre l’évolution des langues utilisées, toutefois il subsiste dans la liturgie des mots et des expressions originaires des langues anciennes qui ne furent jamais traduits :

- en grec : Aghios o theos ( le Trisaghion), Kyrie eleison..

- en hébreu : Amen, Alleluia.

Si Amen et Kyrie eleison ont subi ça et là quelques tentatives (maladroites) de traduction, il n’en est rien pour Alleluia.

  Origines, étymologie et emploi dans l’Ancien et le Nouveau Testament

Alleluia est en fait un vocable composé de deux mots hébreux :

- Halelû : 2e personne du pluriel de l’impératif du verbe Hillel : « louez »

- Yah : abréviation du Nom divin

Il se trouve écrit ainsi en deux mots séparés dans un seul cas de toute l’Ecriture : au psaume 135, verset 3 [Louez le Seigneur] partout ailleurs il est écrit en un seul mot et forme une sorte d’acclamation liturgique [1]

En grec les Septante ne l’ont pas traduit, mais simplement transcrit : Aλληλουϊα, sans tenir compte assurément de la forme hébraïque. Les auteurs latins ont adapté la forme du grec : Allelùia ou Allelùja ou encore Hallelùja. Le chant liturgique ancien le traite comme un simple mot latin (et non comme un terme étranger) en faisant porter le poids musical sur la voyelle accentuée « ù » [2]

Les occurrences du mot dans l’Ancien Testament sont exclusivement localisées dans le Livre des psaumes et dans le Livre de Tobie - chapitre 13 verset 18 : « … et toutes ses rues diront : Alleluia !.... ».

Dans les Psaumes, Alleluia tient une place particulière : on le trouve en tête et en fin des psaumes 104 à 107 et 111 à 118 [3] , placé en dehors des cantiques eux-mêmes, comme une sorte d’antienne ou de refrain, une acclamation liturgique de caractère triomphant et joyeux. Dans la liturgie juive une partie de ces psaumes (114-118) forme le groupe appelé « psaumes du Hallel ou de la louange » et on les chantait tout particulièrement aux grandes fêtes de Pâques, de la Pentecôte et des Tabernacles.

Dans le Nouveau Testament, Alleluia (comme tel) n’apparaît que dans le seul livre du Dévoilement (Apocalypse), et là encore il fait fonction d’acclamation liturgique, avec la même tonalité triomphante et joyeuse :

 … Alors j’ai entendu la grande voix d’une foule nombreuse qui disait : « Alleluia ! A notre Dieu le salut, la gloire et la puissance, car ses jugements sont vérité et justice : Il a jugé la grande prostituée, qui pourrissait la terre de sa prostitution, et Il a réclamé d’elle le sang de ses serviteurs ». Et de nouveau ils ont dit : « Alleluia ! Et sa fumée s’élèvera pour les siècles des siècles ». Et les vingt-quatre vieillards et les quatre vivants tombèrent sur leurs faces et adorèrent Dieu qui siège sur le trône et ils dirent : « Amen ! Alleluia ! »

Alors une voix sortit du trône et elle disait : « Louez notre Dieu, vous tous ses serviteurs, vous qui Le craignez, petits et grands ! »

Et j’ai entendu la voix d’une foule nombreuse, voix semblable aux grandes eaux, voix semblable aux tonnerres puissants, et elle disait : « Alleluia ! Il règne, le Seigneur notre Dieu, le Tout-Puissant ! Réjouissons-nous, soyons dans l’allégresse et rendons-Lui gloire, car les noces de l’Agneau sont venues, et son épouse s’est préparée : elle est vêtue de lin fin, éclatant et pur, c’est-à-dire de la justice des saints… » Apoc 19 : 1 à 8

Ici l’emploi de l’acclamation liturgique est tout à fait analogue à ce qu’il est dans l’Ancien Testament. Remarquons qu’il est lié aux Noces et au Repas de l’Agneau, de même que dans l’ancien judaïsme il était en rapport avec la célébration de la Pâque [4] .

Emploi chez les Pères et dans les liturgies anciennes jusqu’au 6e siècle

Tertullien [5] , le théologien carthaginois, nous informe qu’au 2e siècle déjà « les fidèles les plus accoutumés à la prière sont attachés à l’Alleluia et le chantent toujours à la conclusion des psaumes. [6]  », c’est-à-dire que l’Alleluia servait d’acclamation ou antienne responsoriale après le chant des psaumes. Cet usage s’est perpétué jusqu’à nos jours dans certaines circonstances (en particulier pendant le Temps pascal…)

Aux siècles suivants (4e et 5e) les allusions au chant de l’Alleluia sont nombreuses. Nous ne citerons que cette phrase de saint Augustin d’Hippone : « Alleluia est un chant de joie et de louange, comme tout chrétien le sait. [7]  »

Une antienne découverte dans un manuscrit ambrosien en 1899 mérite aussi d’être citée : Venez peuples, approchons sans crainte du mystère sacré et immortel, approchons avec foi et respect, communions à ce mystère dans nos mains purifiées par la pénitence : car l’Agneau de Dieu est immolé pour nous. C’est Lui seul que nous adorons et nous Le glorifions avec les anges en chantant : Alleluia.

Bien que l’on ne connaisse pas exactement la date de la rédaction de ce texte, il a son parallèle quasi littéral dans une hymne grecque du 5ème siècle.

D’autre part il est attesté de façon multiple que dans les liturgies des 4e et 5e siècles on chantait l’Alleluia depuis l’ambon au moment de la lecture de l’Evangile. Cassiodore [8] nous précise « qu’il est exécuté par les chantres, repris par les fidèles et orné de longs mélismes avec des variations [9] … »

  Emploi dans la liturgie actuelle - problème du carême

A partir du 6e siècle nous sommes mieux renseignés.

Les textes liturgiques hispano-wisigothiques et les sacramentaires gallicans, ainsi que l’œuvre historique de saint Grégoire de Tours, nous donnent un aperçu précis de l’usage de l’Alleluia dans la liturgie, tant à la liturgie eucharistique que dans les offices monastiques. Il est à noter que dès cette époque, en Gaule et en Espagne (et sans doute aussi à Milan et en Bretagne) on chante l’Alleluia à l’office des défunts. Saint Venance Fortunat [10] et saint Grégoire de Tours [11] nous l’attestent pour les Gaules et Saint Isidore pour l’Espagne.

Si en Afrique, d’après saint Augustin, on ne chante Alleluia que le dimanche et au Temps pascal (« la sainte cinquantaine ») il n’en va pas de même en Espagne ni en Gaule : saint Isidore de Séville dans un texte célèbre nous dit : « Les louanges (laudes) c’est-à-dire Alleluia furent chantées par les Hébreux depuis la plus haute antiquité. […] En Afrique, Alleluia n’est chanté que le dimanche et pendant les cinquante jours de Pâques […] ; chez nous cependant, selon un usage hispanique très ancien, Alleluia est chanté en tout temps, sauf aux jours de jeûne et pendant le carême, car il est écrit : « sa louange sera toujours dans ma bouche [12]  »

Ce texte est capital en ce qui concerne notre usage actuel de carême : il atteste de façon claire que la suppression de l’Alleluia pendant ce temps liturgique est un usage très ancien et très général sur le territoire où « l’usage gallican » est répandu.

  Dans la liturgie eucharistique, l’Alleluia trouve sa place au moment de la lecture de l’Evangile, à la fin du « Sonus » et à la triple élévation des dons (après la Fraction) ; à propos du « Sonus », saint Germain de Paris, dans sa première lettre, nous précise que ce chant se termine toujours par les « laudes », vocable qui désigne l’Alleluia dans tous les textes liturgiques de cette époque.

Dans la liturgie celtique, les antiennes de communion se terminent également par un double Alleluia [13] .

On notera que cet usage est analogue à celui des Eglises grecques.

A leur propos il faut remarquer une différence fondamentale avec l’usage occidental en ce qui concerne l’emploi de l’Alleluia pendant le carême. Les Eglises de rites grecs multiplient les Alleluias pendant toute la période du Grand Carême ; ceci peut paraître paradoxal et l’on peut penser que l’Alleluia devient dès lors un chant de pénitence ; nous pensons qu’il n’en est rien. En fait c’est le carême oriental qui, par cet emploi particulier de l’Alleluia, prend une tonalité joyeuse : la joie sur le chemin du retour vers la maison paternelle, ainsi que le dit le fils prodigue de la parabole : « Oui, je me lèverai et j’irai vers mon père… ». Alleluia (c-à-d : Louez Dieu) prend alors le rôle d’exhortation à la louange.

Pour terminer cette brève étude, nous publions ci-dessous le texte du rite du « congé de l’Alleluia » qui est célébré depuis le 8ème siècle au tout début du carême.

Ce rite prend indifféremment le nom de « Enterrement de l’Alleluia », « Adieux à l’Alleluia », « Congé de l’Alleluia » ou (comme dans notre Eglise Orthodoxe des Gaules) « Clôture de l’Alleluia ».

Cet Office se place normalement à la fin des Vêpres du Mardi Gras au soir (mardi après la quinquagésime) qui sont en fait les vêpres du mercredi « des Cendres ». Il en existe un bon nombre de formes différentes composées entre le 8eme et le 10eme siècle ; elles sont empreintes de sentiments divers selon les lieux, mais toutes reflètent le regret, la tendresse et l’enthousiasme pour Alleluia, cette parole céleste, compagne de notre prière.

Voici donc la Clôture de l’Alleluia, telle qu’elle est célébrée aujourd’hui dans l’Eglise Orthodoxe des Gaules :  

Mardi avant les cendres

Vêpres

clôture de l’alleluia

Tout des vêpres de l’ordinaire en temps de carême sauf ce qui suit :

Psaume ecclésiastique                                                              

antienne

Alleluia !

Psaume 137

Sur les bords des fleuves de Babylone,

nous étions assis et nous pleurions, en nous souvenant de Sion.

Aux saules de la contrée,

nous avions suspendu nos harpes.

Là, nos vainqueurs nous demandaient des chants,

nos oppresseurs, de la joie.

Chantez-nous, disaient-ils, un cantique de Sion ;

mais comment chanterions-nous les cantiques du Seigneur

sur une terre étrangère ?

Si je t’oublie, Jérusalem, que ma droite m’abandonne,

que ma langue s’attache à mon palais si je ne garde ton souvenir,

si je ne fais de Jérusalem le principal sujet de ma joie.

Gloire au Père et au Fils et au Saint-Esprit.

Comme il était au commencement, et maintenant et toujours,

Et aux siècles des siècles. Amen.

Tout le reste selon l’ordinaire des vêpres en temps de carême jusqu’à la

Clôture

Cél.     Le Seigneur soit toujours avec vous,

Ts.       Et avec ton esprit.

Diacre (ou Chantre) :

Alleluia, enfermez et scellez cette parole ! Alleluia, qu’elle reste en repos dans le secret de votre cœur jusqu’au temps fixé, et quand le jour sera venu, vous direz dans une grande joie :

Ts        Alleluia, Alleluia, Alleluia !

Cél.     Bénissons le Seigneur !

Ts.       Rendons grâces à Dieu.

 



[1] Dom Cabrol DACL  col. 1230

[2] On en trouvera un bon exemple dans l’Alleluia de Pâques du ton 8.

[3] Numérotation hébraïque (dans la Vulgate et les LXX : 105- 119)

[4] Bien que Alleluia n’apparaisse pas dans les Evangiles, de nombreux commentateurs pensent que les psaumes et les hymnes dont il est question en Mt 26:30 et Mc 14:26  sont les psaumes du Hallel accompagnés de l’antienne « Alleluia ». (cf.  supra)

[5] Quintus Septimus Florens Tertullianus, rhéteur carthaginois né en 155, converti au christianisme en 193, écrivain et théologien chrétien de langue latine.

[6] Tertullien, de oratione c.27,  P.L. t. 1, col.1301 « diligentiores in orando subjungere in orationibus alleluia solent, et hoc genus psalmos quorum clausulis respondeant qui simul sunt»

[7] Augustin, serm. 254 et 265, P.L. t. 38, col. 1184

[8] Magnus Aurelius Cassiodorus Senator (485-580), homme politique et écrivain latin de l’Italie du sud, fondateur du monastère de Vivarium.

[9] Cassiodore, in psalmis 104, P.L.  t. 70, col. 742

[10] Venance Fortunat (530-609), Vie de Radegonde

[11] Grégoire de Tours (538-594), Vie des Pères, c. 7

[12] Isidore de Séville (565-636), de ecclesiasticis officiis c.13, P.L. t. 86, col. 31 « In Africanis regionibus non omni tempore, sed tantum dominicis diebus, et quinquaginta post resurrectionisAlleluia cantatur pro significatione futuræ resurectionis et lœtitia ; verum apud nos, secundum antiquam hispaniarum traditionem, prœter dies ieiuniorum, vel quadragesimæ, omni tempore caniturAlleluia ; scriptum est enim : Semper laus eius in ore meo. »

[13] En voici un exemple tiré du « Book of Deer -Xe s. » : Reffecti Christi corpore et sanguine tibi semper dicamus Domine, Alleluia, Alleluia. [Nourris par le corps et le sang du Christ, Seigneur nous te chantons : Alleluia] Cette antienne se retrouve également dans l’Antiphonaire de Bangor-VIIe s. Et dans le « Book of Mulling –VIIIe s. » : Alleluia. Laudate dominum omnes gentes, alleluia alleluia. [Alleluia, Louez le Seigneur, vous tous les peuples, Alleluia]


         


 
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