Les
Noces de Cana
Commentaires de Maurice Zundel au Cénacle
de Genève le dimanche 14 janvier 1962.
Inédit.
«
Or, le troisième jour, il y eut une noce à Cana de
Galilée et la mère de Jésus était là.
Jésus lui aussi fut invité à la noce ainsi que
ses disciples. » Jean 3,1-2
Contre
toutes prévisions, l'évangile le plus spirituel se concrétise
dans un sens très concret. Ce sens culmine dans l'esprit de Jésus
et de Marie. Jésus est sensible à la confusion domestique
de cette famille, un jour de noce, et qui peut jeter la confusion sur
toute une vie. Il est associé à cette catastrophe domestique
qui, en cette circonstance, ne permet pas à ces époux
de faire honneur à leurs invités.
Il
ne faut pas s'évader dans un ciel imaginaire, il faut donner
à la vie sa noblesse et sa beauté qui permettront que
la bonté de Dieu soit attestée. C'est un indice de l'authenticité
de Jésus qu'il commence la glorification de la vie dans ce qui
paraît le plus profane : cela commence par cette fête nuptiale,
dont l'harmonie doit régner sur toute la vie et l'intervention
de Jésus fait suite à la prière de Marie.
Le
chrétien est appelé à concourir à la joie
des autres et la prière des chrétiens, c'est de rendre
heureux les autres. Toutes les prières, les visions, révélations
ou miracles vont au-devant de cette exigence de l'amour du prochain
qui tend à faire la vie plus belle et les autres plus heureux.
Tous les miracles sont dépassés par la charité,
cette attention d'amour à la vie pour que le visage de Dieu puisse
resplendir.
C'est,
justement, dans les choses les plus matérielles qu'il faut commencer,
car le manque du nécessaire se faisant sentir, détourne
l'homme de Dieu. Il faut être pourvu des biens matériels,
pour n'avoir plus à y penser ou, plutôt, pour pouvoir y
penser autrement. Quand on a ce qu'il faut pour vivre, on peut, plus
facilement, percevoir la bonté de Dieu.
Glorifier
l'univers sensible, en délivrant l'esprit du besoin matériel
et en assurant à l'homme une aisance suffisante, crée
un écart de lumière qui permettra de faire du monde une
offrande d'amour.
Si la liturgie ne conduit pas au silence, elle manque son but premier.
C'est la solitude avec Dieu qui est au cœur de la communauté
chrétienne, quand chacun peut rejoindre la Présence de
Dieu.
Plus
l'âme est plongée dans la Présence silencieuse de
Dieu, plus elle est à même de partager celle de ses frères.
Jésus
rassemble toute l'humanité autour de la table eucharistique,
cette Cène a pour condition essentielle le rassemblement de toutes
les âmes. Nous avons à établir, entre lui et nous,
toute l'humanité.
Jésus
n'a fait aucun disciple avant sa mort ; il a tenté de les faire
entrer dans le drame de la croix, mais ils ont fui et ont dormi dans
le jardin de l'agonie. Ils n'ont rien compris au message de Jésus.
S'ils sont partis, lorsque tout a semblé perdu, c'est qu'ils
ont vu Jésus de l'extérieur et non pas de l'intérieur,
cette parole l'atteste : « Il est temps que je m'en aille, car,
si je ne m'en vais pas, l'Esprit ne viendra pas en vous ». Au
repas du Jeudi Saint, les disciples se disputent encore la première
place à table, et Jésus va essayer de les guérir
de leur erreur en leur lavant les pieds.
La
messe n'est pas un rite magique qui nous sanctifie automatiquement.
La liturgie exige notre présence. Jésus est toujours présent,
c'est nous qui ne le sommes pas. Les apôtres se sont trompés
sur lui. Nous risquons aussi de nous tromper sur lui et d'en faire un
Seigneur à notre dimension idéale. Aussi longtemps que
nous ne penserons pas aux dimensions de l'univers en devenant le corps
mystique de Jésus-Christ, nous n'entendrons pas la réponse
infaillible au terme de la consécration. A la condition que l'Eglise
rassemble l'humanité, toutes les valeurs du monde ou ses expériences
dans notre prière, l'univers entier sera déposé
dans le cœur de Dieu.
Toute
souffrance doit faire un nouveau départ. Nous avons à
être, ensemble, le rassemblement de l'humanité. Que tous
ceux qui ont été consumés de peur ou de douleur
pour arriver à la mort, sans l'avoir prévue, que ce soit
au Pérou, en Algérie, au Congo ou ailleurs, que ceux-là
reçoivent leur béatitude à travers nous. Le temps
est aboli dans le coeur du Seigneur, nous devons accomplir, dans la
réalité intemporelle, la communion de tous ceux qui n'ont
pas eu le temps de la faire : nous pouvons suppléer à
tout ce qui a été fait ou non fait, il n'y a aucune exclusive.