Homélie
pour la fête de la Dormition
Hugues de Saint Victor
TOTA PULCHRA ES (Tu es toute belle…) Cant 4 : 7
Ô
Vierge digne de Dieu, belle en face de sa beauté, pure devant
sa pureté, tu montes des abîmes vers le Très Haut.
Corps très pur, âme simple, tu es toute belle : la beauté
en toi n’a rien laissé dans l’ombre, mais elle a
tout saisi, tout gardé, tout ennobli. Celui qui scrute les reins
t’approuve, Celui qui voit dans les cœurs te loue, l’auteur
de la beauté te choisit, Le Maître de Vérité
te rend témoignage.
Ecoute bien sa voix, tends l’oreille à ses paroles car
c’est lui oui parle, lui que tu entends, lui qui t’invite
et désire t’entendre. Réponds, pleine de joie à
celui qui t’appelle ; accours, viens posséder le royaume
de ton époux, l’héritage de ton Fils, attendre celui
qui t’aime et te désire ; crains de l’affliger par
un retard. Vois avec quelle douceur il t’invite, et tu comprendras
avec quel amour il t’attend.
C’est
un rayon de miel que distillent tes lèvres, mon épouse,
le miel et le lait sous ta langue,
et l’odeur de ton vêtement pareille au parfum de l’encens.
(Cant. 4 : 11)
Lèvres,
langue, parfum, remarquons ces trois termes : les lèvres évoquent
le baiser, la langue la parole, le parfum indique l’onction. C’est
donc toute la Trinité qui vint à la Vierge. Car ses lèvres
reçurent le baiser de la bouche du Père, sa langue le
Verbe du Père, et elle respira comme un parfum le Souffle de
l’Esprit. C’est pourquoi on nous parle de ses lèvres,
de sa langue, de son parfum.
Chaque mot est symbolique. Le rayon est ensemble miel et cire : le miel
évoque la divinité, la cire l’humanité Le
rayon : c’est le Verbe qui s’est fait chair dans la Vierge.
“Tes lèvres, un rayon de miel” : en toi
la divine et l’humaine nature ont apaisé l’ancien
conflit et se sont unies dans un baiser parfait. En toi j’ai uni
le mien au tien, et me servant de toi, je suis sorti de toi avec le
mien et le tien.
Ma divinité était le miel, ton humanité était
la cire. C’est donc moi même qui me suis fait rayon et qui
ai été fait rayon.
“Tes lèvres, un rayon de miel”, car ce qui
a été imprimé en toi a été ensuite
recueilli de toi, et cela même est devenu plénitude de
douceur en moi.
“Tes lèvres, un rayon de miel”. Douceur
exquise, tu fus seule digne de recevoir le baiser de l’amour divin,
pour concevoir et enfanter la douceur qui adoucirait le monde entier.
Et c’est Moi le rayon frais qui brille sur tes lèvres.
“Le lait et le miel sous ta langue ". Qu’est
ce que ce miel et ce lait sous ta langue ? C’est le Verbe sous
ta chair. Sous ta langue parce qu’il s’agit du Verbe, sous
ta langue, parce que le Verbe est caché. Le miel est la divinité,
le lait l’humanité. La chair vient de la chair. Mais de
la descendance d’Adam est venue une chair nouvelle, de la chair
coupable est sortie la chair rédemptrice.
“Ton parfum surpasse tous les parfums”, car d’autres
onctions se font par besoin, pour soigner et guérir ; mais toi,
tu as été ointe pour la splendeur de ta beauté
en signe d’élection et d’amour. Comme tu devais engendrer
l’Oint, on t’a ointe toi aussi. A l’avance, on a versé
en toi l’onguent Excellent que ton Fils retrouverait dans ton
sein.
L’hiver
est passé, la pluie a cessé ; les fleurs sont apparues
sur la terre ; la vigne en fleur a donné son parfum.
La voix de la tourterelle s’est fait entendre dans nos campagnes.(Cant.
2 : 11-12)
Quelle
harmonie ! Tout est prêt pour elle ; il faut qu’elle sache
de quel exil on la retire, vers quelle patrie on l’appelle. Le
doux pays se profile, chaque mot parle d’amour : les fleurs, leur
parfum, le chant de la tourterelle ; mais on rappelle aussi les tristesses
de l’exil, pour stimuler le désir de la fiancée,
pour qu’elle ne s’attarde pas au pays de la misère.
“La voix de la tourterelle s’est fait entendre dans
nos campagnes.” Ne songez pas, pour cette fois, à
interpréter le chant de la tourterelle comme un gémissement
; non, il n’est question que de joie en ce passage. La voix de
la tourterelle chante l’amour et l’élection de la
tourterelle à un unique amour, lui chantant sa joie s’il
est présent, sa fidélité s’il est absent.
Le chant de la tourterelle est tout entier chant d’amour elle
ne connaît que l’amour : un amour unique un amour éternel,
car au pair qu’elle a choisi nul autre ne succède. À
cette voix, les cœurs s’échauffent : oui, la voix
de la tourterelle a été entendue. Que dit elle ? Une seule
chose ; elle la sonne et resonne et ne s’en lasse jamais, car
son amour est toujours le même. O voix de la tourterelle, que
tu es douce et qui peut t’entendre ? Car tu chantes dans la solitude,
tu aimes la solitude, toi qui veux être seule avec le seul. Ce
n’est pas sur les places publiques qu’on entendra ta voix.
Elle résonne à l’intérieur, c’est un
chant intime, et seuls peuvent l’entendre ceux oui sont à
l’intérieur. Ceux qui s’avancent dans le désert,
qui se cachent, qui s’apaisent dans le silence, voilà ceux
qui entendent la voix de la tourterelle. Dans la nuit, dans une torpeur
sacrée qui prépare l’homme à voir Dieu (Job,
4, 13), alors la voix de la tourterelle ouvre le cœur des hommes.
C’est là qu’elle leur révèle le Verbe
caché, et le secret qui se dit aux amis. Ils suivent le fil de
son murmure, et gardent son secret.
Ô Reine, ô beauté, tu as entendu la voix de la tourterelle,
tu l’as entendue et tu as compris. Elle parlait à l’intérieur,
et toi, tu étais à l’intérieur, c’est
pourquoi tu as entendu. Tu as compris et tu t’es écriée
: " C’est la voix de mon bien-aimé ! ".
Puisque tu as deviné l’amour, ne tarde plus, lève-toi
vite, ouvre le loquet de ta porte, sors et tu verras son visage. S’il
fuit, suis-le sur les collines embaumées : tu cours en sécurité
puisque tu viens du Liban, puisque tu es pure et lumineuse, Vierge immaculée.
Viens du Liban, viens sur les montagnes de la béatitude, il t’attend
là, il t’y a précédée celui qui est
né de toi. Ton fils est là, ton bien-aimé, c’est
lui qui t’appelle : les fleurs sont apparues sur la terre
; la vigne en fleur a donné son parfum, la voix de la tourterelle
s’est fait entendre dans nos campagnes, Lève-toi, hâte-toi,
mon amie, viens du Liban, je veux te couronner !
Hugues
de Saint Victor Hugo a Sancto Victore (1096-1141). D’origine
inconnue (peut-être saxonne ou flamande), Hugues entre vers 1118
chez les chanoines réguliers de Saint-Victor, monastère
fondé en 1108 par Guillaume de Champeaux dans l’enceinte
de l’ermitage de Saint-Victor, à Paris. Il devient vite une
personnalité marquante, considéré par ses contemporains
comme le « nouvel Augustin ». D’une grande curiosité
intellectuelle et d’une vaste culture, cet humaniste conseille à
ses disciples de tout apprendre, car, estime-t-il, rien n’est inutile.
Son œuvre reflète son insatiabilité : il traite des
arts libéraux, des sciences, de la philosophie, commente les Écritures,
écrit le Chronicon consacré à l’histoire universelle.
Son ouvrage d’enseignement le Didascalicon - programme d’étude
pour le maître comme pour le disciple, méthode de lecture
- est considéré comme le texte fondateur de l’École
de Saint-Victor. Il assume l’héritage antique et carolingien
et introduit, à côté des arts libéraux, les
arts mécaniques. Il établit un ordre dans la succession
des matières étudiées et le justifie (logique, éthique,
philosophie théorique, mécanique).
La pensée
d’Hugues s’organise autour de l’idée suivante
: il y a une unité essentielle des savoirs et de l’être
humain que la chute originelle a brisée ; il s’agit de la
restaurer. C’est à un tel être humain concret que s’applique
sa pédagogie et c’est lui qu’elle tend à guérir.
L’homme verra son intégrité restituée grâce
à l’étude de la logique et de la philosophie reliées
à la connaissance du vrai, et à la « pratique »
reliée à l’amour et à l’exercice du bien.
Quant aux maux physiques, les arts mécaniques sont là pour
les comprendre et y remédier. L’influence d’Hugues
de Saint-Victor sera très importante sur la théologie de
son époque et se prolongera jusqu’à la fin de Moyen
Âge. Son traité Des Sacrements de la foi chrétienne
est une véritable somme théologique.
Plus
sur Hugues de Saint Victor
http://alaingiffard.blogs.com/culture/2005/04/ugues_de_saint_.html
http://www.philonet.fr/auteurs/StVictor.html
http://fr.wikipedia.org/wiki/Hugues_de_Saint-Victor
Didascalicon
Ecole
de Saint Victor
Huges
de Saint Victor et le sport
Hugues
de Saint Victor et le Cosmos
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