|
|
|
|||||||
Le NOTRE PERE par le diacre Marc Ménestret Je remercie chaleureusement ma chère épouse
Françoise, qui m’a d’abord offert le temps de rédiger
ce travail et a, ensuite, eu la patience de le relire attentivement pour
en relever et corriger les fautes. * Perle précieuse de la tradition chrétienne et de la spiritualité humaine Il me paraît essentiel dès le départ
de prendre conscience d’une chose fondamentale : cette prière
n’est pas une création de l’homme mais elle a été
donnée par le Fils unique de Dieu, le Verbe divin. * Cette prière a plus que probablement été
formulée par Jésus en hébreu qui était la
langue sacrée. Peut-être aussi en araméen la langue
parlée par le Christ. Ainsi, le début de la prière (grec
écrit phonétiquement): * Le Notre Père est une prière simple en
apparence, mais dont le sens est loin d’être évident
comme le montrent les nombreuses traductions et commentaires qu’elle
a suscités depuis des siècles. « Le Notre Père est la prière des prières, la plus proche et la plus difficile. Admettons un instant que l’Ecriture sainte ou l’enseignement spirituel d’une prière telle que le Notre Père se livre pleinement, que tout y soit aisé, sans matière à discussion, qu’adviendra-t-il à l’âme humaine ? Elle s’installera dans cette compréhension comme dans un fauteuil…et la mort survient précisément lorsque l’homme a trouvé le confort » (Mgr Jean de St Denis) * Cette prière sublime est celle de Notre Seigneur
Lui-même. Cette prière est donc avant tout un enseignement
divin, au même titre que les paraboles, le discours sur la Montagne,
et toutes les Paroles de vie du Christ. Le Notre Père est en soi un chemin spirituel que nous sommes invités à parcourir (dans les deux sens) et surtout à vivre, à incarner dans notre quotidien. « Nous n’avons pas d’autre guide vers la vie éternelle, la vie divine, la béatitude, que la vie du Christ, l’enseignement du Christ, la Passion du Christ, la Prière du Christ…Le Pater à nous enseigné par le Christ, est la plus vraie des prières, la plus complètement et parfaitement juste et agréable à Dieu, celle dont la flamme doit toujours brûler en nous » (Raïssa Maritain - Notes sur le Pater p. 153 et svtes) Cet enseignement contenu dans la prière nous révèle quels sont les vrais besoins de l’homme et aussi qui est Dieu et comment Il désire qu’on le prie. « Seul Dieu peut nous fait connaître
Dieu » La prière du Seigneur nous révèle
aussi quel le projet de Dieu pour l’homme : « L’oraison dominicale est vraiment l’abrégé de tout l’Evangile…Quoi d’étonnant à cela ? Dieu seul a pu nous apprendre comment Il voulait qu’on le prie. C’est Lui qui choisit les mots de la prière, l’anime de son Esprit, au moment où elle sort de sa bouche, et lui communique la grâce de nous transporter au ciel en touchant le cœur du Père par les Paroles de son Fils » (Tertullien – De la prière 2 et 9) « Le Notre Père est un don de Dieu ! Qui peut en effet trouver les mots à la hauteur de Dieu sinon Dieu ? Qui voit assez clair pour demander à Dieu ce qu’il faut, sinon Dieu ? » (Daniel Bourguet , Approches du Notre Père, page 27) * Cette origine divine de la Prière implique aussi qu’elle est complète, totale. Rien d’essentiel n’y manque. « Si tu parcours toutes les formules des prières
sacrées, tu ne trouveras rien, je crois, qui ne soit contenu dans
cette prière du Seigneur et n’y trouve sa St Maxime le Confesseur, de manière très synthétique, condense toutes les demandes en une phrase dont chaque mot vaut son pesant d’or, car chaque expression recouvre des réalités insondables. Il écrit trouver dans le Notre Père… : « La théologie, la filiation dans la grâce, l’égalité d’honneur avec les anges, la participation à la vie éternelle, le rétablissement de la nature (humaine) rendue à elle-même dans l’impassibilité et l’assentiment, l’abolition de la loi du péché et la destruction de la tyrannie du Malin » (Philocalie, t.6 édit. Bellefontaine 1985) La théologie ? * La prière est donc bien plus riche qu’une
lecture superficielle (et l’usure de l’habitude, la distraction)
ne le laisse(nt) apparaître. Cette demande est déjà une magnifique prière
en soi. Le disciple s’adresse à Jésus comme à
Dieu en l’appelant « Seigneur », et pas simplement
« Maître » (rabbi). Le bien-fondé de cette demande, humble et sincère, est d’ailleurs soulignée par le Christ qui, juste avant de transmettre la prière, dit à ses disciples : « En priant, ne rabâchez pas comme les
païens ; ils pensent que c’est à force de paroles
qu’ils seront exaucés. Ne leur ressemblez donc pas car votre
Père sait ce dont vous avez besoin avant même que vous le
lui demandiez « (Mat 6) Nous pouvons nous aussi demander avec humilité
à Dieu de nous apprendre à Le prier vraiment, non du bout
des lèvres ou par habitude, mais avec tout notre être, dans
un élan du cœur. Et le Christ va répondre à l’humilité du disciple en dévoilant (chez St Matthieu) l’humilité du Père : « Quand vous priez ne soyez pas comme les hypocrites, car ils aiment prier debout dans les synagogues et les carrefours, afin de se montrer aux hommes…Toi, quand tu pries, entre dans ta chambre et ferme la porte pour prier ton Père qui est dans le secret et Ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra. » (Mat 6, 5-6) Il n’est plus question ici du Dieu terrible qui
siégeait dans le tabernacle du Temple et dont on ne pouvait même
pas prononcer le Nom. Nous découvrons, au contraire, dans la bouche du
Verbe un Dieu paternel qui attend chaque homme dans le secret de son cœur.
« Dès que l’homme entre en lui-même et retrouve le vrai silence, il sent comme une attente qui vient du Père, qui est présent dans le secret (Mt 6,6). Le Père parle par son Fils, sa Parole. Elle n’accable pas, elle témoigne de sa proximité immédiate : « Voici que je me tiens à la porte et je frappe » (Apo 3, 20) (Paul Evdokimov, L’amour fou de Dieu p.37) Quel renversement de perspective ! Dieu, patiemment,
humblement, attend l’homme dans la chambre de son cœur. « Dieu était là et je ne le savais pas » (Gen 28 ,16) Nous pensons parfois que notre prière est un effort
pour atteindre Dieu qui serait loin de nous, dans un ailleurs, hors de
notre portée, alors que le Christ nous montre au contraire qu’Il
est tout proche et que c’est Lui qui nous attend au cœur de
nous-mêmes ! « Nous sommes engagés à entrer, non dans les pièces cachées d’une maison, mais dans la chambre de notre cœur et à prier Dieu dans le secret de notre esprit » (St Hilaire de Poitiers) « Dieu se cache pour ne pas éblouir par sa nature. Condescendance, humiliation, dépouillement sont les attributs du Créateur » (Mgr Jean de St Denis) A l’humilité de l’homme répond
l’humilité de Dieu. Dieu s’efface, se fait petit, pour que l’homme
soit et grandisse. « C’est par le silence, par la prière, par la pénitence, par l’attention devant Dieu que nous entrerons dans la cellule de notre coeur. Ainsi, nous retrouverons en nous ce lieu inexprimable et caché pour le monde extérieur, et même pour nous si nous sommes distraits. Ce lieu où réside la paix, la sérénité, la flamme, où s’offre à chaque instant l’offrande de l’amour de Dieu, où conversent les anges dans notre silence intérieur, car le monde céleste et le Royaume de Dieu sont en nous. Sans abandonner la vie extérieure et le monde, que ces activités ne nous détournent pas de la vie intérieure. Ne cherchez pas de point d’appui dans le monde extérieur, mais en vous. » (Mgr Jean de St Denis) 2- Prière de demande, prière de louange ? Vous n’ignorez pas qu’il existe plusieurs formes de prière, qui peuvent être regroupées en deux formes essentielles : la prière de demande (dont celle du pardon) et la prière de louange (dont celle de bénédiction et celle d’adoration). A première vue, le Notre Père, semble être une prière de demande et même de demandes car elle exprime 7 demandes essentielles… Le chiffre 7 n’est pas le fruit du hasard : il symbolise la totalité comme on le voit dans de nombreux passages de la Bible (nombre de jours de la Genèse et de la semaine, chandelier à 7 branches (Menorah) dans le Nouveau Testament (7 dons de l’Esprit , 7 diacres…) et en particulier dans l’Apocalypse (7 églises, 7 archanges, 7 sceaux, les 7 trompettes…) Mais à y regarder de plus près, on s’aperçoit que la louange est entrelacée à l’attitude de demande car la prière comprend aussi deux parties distinctes et complémentaires : + La première partie : Notre Père qui es aux cieux (ou céleste) Sur la terre comme aux cieux (au ciel). Elle est centrée sur Dieu et résonne comme une louange à son Nom, à son règne à sa volonté sainte. + La seconde partie concerne notre vie terrestre et nos besoins spirituels vitaux : Donne nous aujourd’hui notre pain substantiel
Pourtant, nous constatons que Jésus Lui même nous invite à adresser nos demandes au Père, sans nous lasser. Il illustre cette réalité par une parabole ;
celle de l’ami importun (Luc 11, 5 à 9) ou de la veuve insistante
(Luc 18, 2 à 8). « Demandez et vous recevrez…car quiconque demande reçoit…Si vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre Père céleste donnera-t-il de bonnes choses à ceux qui les lui demandent » (Mat 7, 8-11) « Tout ce que vous demanderez avec foi dans
la prière, vous le recevrez » (Mat 21,22 et Marc 11,
24) « Jusqu’à présent, vous n’avez rien demandé en mon Nom, demandez et vous recevrez » (Jean 16, 24) … L’attitude de celui qui demande est donc loin d’être méprisable. Bien au contraire ! Elle exprime la confiance (c'est-à-dire la foi), l’écoute, l’humilité de celui qui ouvre son cœur à Dieu. « Se mettre en état de demande, c’est aussi se mettre en état de réceptivité et accueillir ce qui nous est donné. Savoir et oser demander. Dieu n’a pas besoin de nos prières mais nos prières nous rapprochent de Lui. La demande est une écharde dans nos autosuffisances. Nous nous rendons vulnérables à l’Autre et dans cette vulnérabilité s’épanouit notre désir » (Jean- Yves Leloup - pages 25-26) « Le Notre Père est un cadeau fait aux
humbles ; reçue dans l’humilité, cette prière
sera alors dite à Dieu sur le ton qui convient : avec la reconnaissance
de ceux qui savent qu’ils ne méritent rien, avec l’attention
de ceux qui ont connu l’échec, avec l’émerveillement
de ceux qui se savent indignes. Etat d’humble réceptivité de celui qui demande, mais aussi élan d’adoration : « La prière même de demande n’est
vraiment prière que dans la mesure où elle est aussi adoration…Pour
que la démarche (de celui qui demande) ait une valeur de prière,
un courant d’adoration doit la traverser, qui la soulève
et la transforme. Lever les yeux au ciel et tendre la main, il y a là
deux gestes nos pas contraires, mais qui s’appellent l’un
l’autre…l’on peut dire que l’adoration est l’âme
priante de toute prière…le Pater commence par l’adoration
désintéressée…Dans chaque requête, la
voix de l’adoration domine. C’est pour mieux le servir que
nous Le prions de nous aider. » (Jean Carmignac, A l’écoute
du Notre Père, pages 110-112) « L’adoration des trois premières demandes chante la grandeur de Dieu Notre Père » (Carmignac, page 112) « Sur la terre comme aux cieux, que Sanctifié
soit Ton Nom ! Oui ! Ce qui est magnifique, c’est que nous ne commençons
pas la prière en pensant à nous-mêmes, à nos
besoins, par des demandes qui nous concernent mais nous la commençons
en rendant gloire à Dieu Le début du Notre Père nous décentre
donc de nous-mêmes et nous tourne vers Dieu. « personne ne peut rien prendre qui ne lui
soit donné du ciel » (Jean 3, 27 et 6, 65) « La révélation trinitaire s’inscrit
aussi dans la prière que nous a enseignée Jésus lui-même,
le Notre Père, dont les premières demandes invoquent les
Trois Personnes divines. Nous entrons en communion non seulement avec le Père
explicitement invoqué, mais aussi avec les Trois Personnes divines
par notre adhésion aux premiers mots de la prière. Le début du Notre Père c’est l’être humain qui dit à Dieu : « Toi d’abord ! » Que ton nom soit glorifié, que ton Royaume advienne, Que Ta volonté soit faite ».
Pour approfondir notre contemplation des mots de la prière du Seigneur, commençons par le commencement : soit l’exclamation initiale « NOTRE PÈRE » ! Un commentateur contemporain du Notre Père rapporte à ce propos une anecdote significative : son guide spirituel lui disait que lorsqu’elle (c’était une religieuse) appliquait l’exercice spirituel qui consiste à s’arrêter à chaque mot de la prière pour s’imprégner profondément de son sens, elle ne parvenait pas à dépasser les deux premiers : c'est-à-dire « Notre Père ». (J. Sprung, « Notre Père cet inconnu », page 13). Ce sera sans doute aussi notre cas aujourd’hui, en cette journée d’entrée dans le carême... Ce début de la prière est une fin en soi,
un aboutissement, une plénitude qui, s’il est dit avec amour,
tendresse, élan du cœur et une pleine conscience de ce que
nous disons, constitue la quintessence de la prière chrétienne,
car ces deux mots « Notre Père » contiennent
tout : Dieu, notre Père, et notre humanité fraternelle,
fille du même Père divin On perçoit que nous venons d’entrer, dès
les premiers mots de la prière, dans une contemplation bouleversante :
celle des personnes divines et humaines et celle de leurs relations profondes.
Appeler Dieu PERE « ABBA », « PAPA » ! Voilà une audace et une nouveauté qui dépasse tout ce que l’homme pouvait imaginer et oser avant la venue du Christ sur terre. « Abba ! Personne avant Jésus n’avait
osé s’adresser ainsi à Dieu. C’est une grande
innovation ! « Abba » est le diminutif
affectueux du mot « père » : « papa »
en quelque sorte ! Quel étonnant vocatif, quelle force et
quelle intimité ! Nous ne mesurerons jamais assez la profondeur
de ce mot. Quelle innovation , mais quelle révélation aussi !
Par ce seul mot, Jésus ouvre nos yeux sur Dieu (un père,
mon père !) et sur notre propre identité devant Lui
(ses fils et ses filles !)Et tout cela dans une insondable intimité :
« Papa ». Comme le proclame le prêtre avant que l’assemblée ne le prie : « Non selon nos mérites, Père saint, mais par obéissance au commandement de Jésus-Christ, ton Fils, Notre Seigneur, nous OSONS dire… » Comment oserions-nous appeler Dieu « Papa » si Jésus Lui-même ne nous l’avait pas enseigné ? * Dieu, dans la tradition juive (et musulmane) est le
Tout-Autre, Le totalement transcendant que l’on ne peut nommer.
Qui a tous les noms (99 dans l’Islam) et n’en a finalement
aucun de satisfaisant, car aucun nom ne peut Le cerner, exprimer ce qu’Il
est réellement. « O Toi, l’Au-delà de tout, tu as tous les noms et aucun nom ne peut Te nommer. Tu es innommable » écrit St Grégoire de Nazianze. Ne pouvant enfermer Dieu dans un seul nom, les Juifs l’appellent de nombreux noms qui mettent en valeur sa gloire, sa puissance créatrice, mais aussi le mystère qui ne peut être cerné : Adonaï, El, Elohim, YHWH, Shaddaï, Sabbaoth, Eyeh… Seul Jésus pouvait donner à Dieu un nom si proche, si intime, si tendre que celui de Père, et nous inviter à nous adresser à Dieu comme à un père. Comme l’écrit Jean Carmignac : notre
prière est devenue « l’écho de celle du
Christ » : Quand nous en prenons conscience, nous nous sentons en
communion intime avec notre Seigneur Jésus qui prononçait
les mêmes mots de fervente adoration. « Les grands souhaits contenus dans les trois prières demandes, avec quelle tendresse et quel désir Il devait les prononcer ! C’étaient ses vœux à lui qu’il offrait au Père, pour le Nom de son Père, Pour le Royaume de son Père, pour la volonté de son Père, C’étaient ses voeux à Lui, avant d’être ceux que, comme chef de l’humanité, Il offrait au nom des ses frères » (Raïssa Maritain Notes sur le Pater, pages 147 et 150)
C’est d’une audace dont seul le Christ est capable : « Nulle part dans la littérature juive
l’invocation de Dieu sous le nom de « Papa »
n’est attestée…C’est un balbutiement, l’articulation
première et parfois difficile de la parole et du silence. Ce mot
enfantin, nul avant Yeshoua ne l’a employé pour s’adresser
à Dieu, et c’est ce mot-là que l’on retrouve
dans chacune de ses prières » » Nous ne pouvons appeler Dieu Père que parce que
seul Jésus Le connait et nous le révèle comme tel. * La prière que nous donne Jésus nous révèle que Dieu est bien une Personne avec laquelle nous pouvons réellement entrer en relation (ce qui correspond sur ce point à la révélation déjà présente dans le Premier Testament). Arrêtons-nous un instant sur cette prise de conscience
qui est souvent banalisée par l’habitude. Interrogeons nos contemporains à ce propos et que constatons-nous ? D’abord, que la plupart d’entre eux - du moins
parmi ceux qui n’excluent pas d’office l’existence de
Dieu - s’en font une idée extrêmement floue, abstraite
et lointaine. La Bible contient pourtant la révélation de Dieu, et d’un Dieu personnel mais, effectivement, impossible à cerner (d’où la multitude de ses noms et le caractère énigmatique, insaisissable de certains d’entre eux (YHWH « Eyeh asher Eyeh » « Je suis ce que Je suis, ce que j’étais, ce que je serai… »). * Or, nous voyons Jésus s’adresser à
Dieu d’une tout autre manière : il le nomme « Mon
Père », « Abba » c'est-à-dire :
« Papa ». Cela devient extraordinairement concret !
* Mais ces premiers mots de la prière nous révèlent
aussi, et cela aussi est une nouveauté encore plus inacceptable,
une révolution dans la tradition biblique : le Père
n’est pas une Personne unique. « Les Juifs cherchaient à le tuer, non seulement parce qu’il violait le Sabbat, mais parce qu’il appelait Dieu son propre Père, se faisant l’égal de Dieu » (Jean 5, 18) Jésus pouvait se faire lapider pour avoir osé
proclamer ces paroles. * Lorsqu’on trouve dans le Premier Testament des
allusions à la paternité divine (on en a dénombré
14 selon Jean Yves Leloup), elles sont encore assez timides et isolées.
De plus, elles ne sont pas le signe d’une relation paternelle et
filiale réelle au sein de la vie divine et entre Dieu et l’homme,
comme celle que nous révèle Jésus, le Fils unique
de Dieu, « né du Père avant tous les siècles »
(Credo), Quelques citations : + Il est créateur et protecteur : Observons cependant que jamais, aucun personnage biblique ne s’adresse à Dieu en lui disant « Père », manifestant une relation filiale et intime avec Lui.
« Je suis sorti du Père… »
(Jean 16, 28) Et le Christ Lui donne ce nom à de multiples reprises dans les évangiles (plus de 60 fois !), de manière quasi exclusive. Pour Jésus, Dieu est essentiellement Père et Amour. Ce qui est synonyme. « En somme, soit pour Jésus, soit pour
le disciple en prière, Dieu est tellement « Père »
qu’Il n’est plus que « Père ».
« La reconnaissance de la notion de paternité
pour évoquer l’Absolu va être conduite à son
comble par l’expérience et la prière de Yeshoua. Plus
de soixante fois dans les évangiles, Yeshoua va appeler son Dieu
et notre Dieu « Abba », ce qui signifie littéralement
« papa ». Nulle part ailleurs dans la littérature
juive, l’invocation de Dieu sous le nom de « Papa »
n’est attestée.
Depuis l’Incarnation du Fils unique de Dieu, Notre
Seigneur Jésus-Christ, il n’est plus possible de considérer
Dieu à distance, comme un être transcendant et lointain dont
on ne sait rien et dont on ne peut prononcer le Nom. Le Père céleste n’est pas le père terrestre A différentes reprises dans les évangiles,
la paternité divine est opposée à la paternité
humaine. Mais Abraham est mort, et les autres patriarches (pères) aussi ! Le Christ nous invite à nous tourner vers le seul
Vivant : Le Père dont toute vie provient et vers Qui toute
vie retourne. Le Dieu Vivant, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et
de Jacob qui avaient reçu de Lui leur propre paternité. Le Christ en insistant sur l’origine céleste du Père veut le distinguer clairement, dans l’esprit de ses auditeurs juifs, pour lesquels le nom de Père charnel, terrestre, du peuple élu évoque inévitablement Abraham. Le potentiel véritable de la personne humaine n’est réalisé que dans sa relation avec d’autres personnes réalisées, c'est-à-dire avec Dieu Lui-même. * Les « cieux » ne désignent
pas un lieu matériel, localisable (comme le ciel bleu derrière
les nuages). « Les cieux sont en Dieu plus que Dieu n’est dans les cieux car l’ailleurs auquel nous aspirons n’est pas un lieu mais un mystère infini d’échange d’amour » (Airaud) Dans le Principe (c'est-à-dire le Père),
Dieu n’habite pas sur terre qui, elle, est bien un lieu, un milieu,
celui des créatures. Les cieux désignent aussi le « lieu » des anges qui louent éternellement le Père (et le Fils et l’Esprit Saint) « Dire que Dieu est aux cieux, c’est donner à toute notre vie une direction qui dépasse la terre. » (Un moine de l’Eglise d’Orient p. 23) Pourtant avec l’Incarnation Du Fils de Dieu le créé (la terre) entre en contact intime avec l’Incréé (les cieux), la « terre » avec le « ciel ». * Il est d’ailleurs utile de relever, comme le fait JY Leloup, que le lien entre le ciel et la terre, entre l’incréé et le créé, l’être humain et Dieu le Père, le Silence et le Verbe… est évoqué dans le nom même de père, en araméen, car « ABBA » est formé des lettres Aleph et Beth les deux premières de l’alphabet hébreu. Or Ainsi, dans les deux lettres du Nom « Abba » L’Incarnation divine et la déification humaine se manifestent déjà, en filigrane.
« C’est avec raison que ces paroles « Notre Père qui es aux cieux » s’entendent du cœur des justes, où Dieu habite dans son temple. Par là aussi, celui qui prie désirera voir habiter en lui Celui qu’il invoque » (St Augustin – Sermon Dom. 2, 5, 18).
L’homme ne projette pas sur Dieu ce qu’il connaît comme l’affirment les philosophes athées. Ce n’est pas nous qui avons appelé Dieu « Père,
car c’est le Fils divin Lui-même qui Le nomme ainsi et nous
invite à le faire à sa suite « N’appelez personne sur la terre votre père car vous n’en avez qu’un seul le Père céleste » (Mat 23, 9) Ce n’est donc pas la paternité humaine qui
sert de modèle à la paternité divine. Mais la paternité
humaine est, au contraire, une image, un reflet de la Paternité
divine. Ceci n’est pas sans conséquence : si
la paternité humaine est à l’image de la paternité
divine, elle doit tendre vers son modèle, en revêtir les
qualités : non seulement l’engendrement initial, mais
l’éducation, la tendresse, la miséricorde, le pardon,
le dépouillement… « Jésus-Christ est le donateur et le garant de la paternité divine, et de notre filialité…C’est pourquoi cette paternité et cette filiation sont incomparablement supérieurs à tout autre, à tout ce que nous appelons « père » « fils », « enfants ». Ces relations humaines ne sont pas l’original dont l’autre serait l’image ou le symbole. L’original, la vraie paternité, elles sont dans ces liens que Dieu a créés entre Lui et nous. Tout ce qui existe entre nous n’est que l’image de cette filialité originelle. Quand nous appelons Dieu « Notre Père », nous ne tombons pas dans le symbolisme, mais nous sommes dans la pleine réalité de ces deux mots : père et fils » (Karl Barth – La prière d’après les catéchismes de la Réforme pages 24-25)
Une remarque initiale doit être faite : * Cette remarque importante étant faite, tâchons d’approfondir ce qu’est la « paternité » divine sans jamais oublier que paternité et maternité, au sens métaphysique, sont intimement liés et indissociables. Mais pour nous plier à l’usage traditionnel, tel qu’il apparaît dans le « Notre Père » nous continuerons à employer le vocable de « Père ». * Comment pouvons-nous approcher de la Paternité
divine ? Comment parler avec nos pauvres mots et notre intelligence
limitée d’une Réalité qui nous dépasse
tellement ? * D’abord, bien sûr, fondamentalement, être Père c’est engendrer un autre. C’est ce que dit le psaume 2 que nous chantons à
Noël : La paternité divine manifeste la fécondité
de Dieu. D’ailleurs des hérésies comme l’arianisme
par exemple, qui niait la divinité du Fils, refusait la fécondité
de Dieu et l’engendrement d’une autre Personne divine (Le
Fils) car cela portait atteinte à l’immuabilité de
Dieu. Cette fécondité du Père fait de Lui,
le Principe, la Source, l’Origine de tout être (y compris
les deux autres Personnes divines) et de toutes choses : * Mais, et c’est aussi un caractère fondamental de la Paternité divine, (et des paternités humaines conduites jusqu’à leur accomplissement ultime), Jésus et la tradition chrétienne affirment que le Père divin Se donne totalement au Fils. Il S’efface au profit du Fils auquel Il donne tout. C’est cette réalité qu’évoque
le Christ quand il dit : « L’amour du Père, c’est
de désirer l’existence d’un autre que Lui-même,
de se retrancher volontairement. Il S’efface en donnant l’existence
à un autre que Lui-même. Cependant Il donne tout ce qu’Il
a et tout ce qu’Il est, non pas en le morcelant, mais en se donnant
totalement, sans restriction…Ne gardant rien pour Soi, le Père
se vide de Lui-même ; afin de se posséder, non pas en
Soi mais hors de Soi. On pourrait, de manière sans doute un peu prosaïque
et boiteuse, comparer le Père à un sac de grains qui se
viderait complètement sur la terre (le Fils et l’Esprit)
où le grain germerait, prendrait racine, s’épanouirait
en épi pour produire du nouveau grain qui retournerait dans le
sac qui à nouveau se viderait pour produire une nouvelle récolte
et cela à l’infini…
Le terme kénose vient du grec « kenosis » (adjectif qui signifie vide, dépouillé…) ou de « Kenoo » (qui signifie se vider, se dépouiller, s’anéantir…) ou encore « ekenosen » (dans l’épitre aux Philippiens 2, 6) (Le Christ s’est anéanti Lui-même) La kénose est la caractéristique fondamentale
des Personnes réalisées, c'est-à-dire des Personnes
divines. « Pour vivre dans l’autre personne par
l’amour, la personne se vide d’elle-même et reçoit
l’autre en son être…l’hypostase se vide d’elle-même
dans un amour kénotique envers l’autre hypostase, offrant
à cette dernière la plénitude de son être.
* Vis-à-vis du Fils, dans la vie divine, la kénose du Père se manifeste par l’engendrement et le don total que le Père fait de Lui-même au Fils (et aussi à l’Esprit) « Le Père se vide complètement dans la génération du Fils. Quant au Fils, Il rend tout au Père » (Père Sophrony – La prière de Gethsémani) « La paternité c’est l’image
de l’amour où celui qui aime veut se posséder non
pas en soi-même mais hors de soi, pour donner son moi à cet
autre moi…Engendrer, pour le Père, c’est Se dévaster,
Se donner Soi et ce qui est sien à un Autre... * Vis-à-vis de la création, cet effacement
du Père, qui est sa manière fondamentale d’être,
s’exprime par le fait que c’est le Fils unique, Jésus
le Christ qui s’incarne. Le Père est non manifesté : le Fils
le manifeste. On ne peut connaître le Père que par le Fils (et dans l’Esprit Saint qui nous ouvre le cœur et l’intelligence). C’est le sens de ces paroles du Christ ; « Personne ne connaît le Père
si ce n’est le Fils et celui à qui le Fils a bien voulu le
révéler. » (Mat. 11, 25)
Nous touchons ici au mystère de la transparence des personnes divines, qui sont le miroir l’une de l’autre, qui se donnent et se reçoivent sans cesse l’une de l’autre. * * Après la question de la Paternité que
nous venons d’effleurer (car ce mystère est insondable et
dépasse de loin nos pauvres mots) vient tout naturellement celle
de la filiation. A nouveau, nous ne pouvons que tourner notre regard vers le Christ, le Fils parfait qui exprime et manifeste le Père en chacune de ses paroles, chacun de ses actes. * Or, qu’est-ce qu’être Fils pour Jésus ? Comment agit-il comme Fils ? Nous venons de rappeler que le rôle du Fils (du
moins dans le monde créé), c’est d’être
Parole sortie du Silence, Manifestation sortie du Non-manifesté,
Incarnation sortie de l’Incréé, Image du Dieu invisible. « Pour connaître le Père nous devons écouter Jésus-Christ. C’est lui qui nous introduit doucement dans l’intimité de Celui qui est son Père et notre Père. Nul ne connaîtra le Père si ce n’est par le Fils et dans le Fils » (Un moine de l’Eglise d’Orient – Notre Père, p.16) Pour devenir fils « actifs » du Père (c'est-à-dire pour vivre de manière concrète et réelle cette filiation, car nous ses fils, nous le sommes nécessairement, mais cela peut rester à l’état larvaire et théorique, comme une pure potentialité – comme nos personnes qui sont en nous mais peuvent rester potentielles, non réalisées), nous devons regarder vivre le Christ et, comme lui, accorder sans cesse notre volonté à celle du Père comme Jésus n’a cessé de le faire pour accomplir celle-ci en permanence : « Ma nourriture, c’est d’accomplir
la volonté de mon Père qui m’a envoyé »
(Jean 4, 34) Il ne s’agit pas ici d’une obéissance
subie, d’une soumission servile et résignée, mais
de l’accord fondamental (comme l’harmonie d’un accord
parfait en musique) de deux (et même trois) Personnes divines qui
n’ont qu’un seul vouloir, une seule action, un seul amour. « La vie en Dieu est la circulation d’un
amour infini entre les trois Personnes. Et voici que dans leur générosité,
les Trois Personnes ouvrent leur cercle parfait d’amour et veulent
nous y accueillir. * Sans oublier, dans cette « danse en rond »
(traduction du mot « périchorèse »)
trinitaire, la Personne tout aussi essentielle du Saint Esprit. « Parce que vous êtes fils, Dieu a envoyé
dans nos coeurs l’Esprit de son Fils qui crie « Abba » !
Père ! » (Gal 4-6)
* Mais cette réception de la Présence divine
n’est possible que par notre propre kénose à l’image
de celle du Fils.
« La profondeur de l’expérience de la grâce dépend de l’intensité de la kénose » (Sakharov p 112) comme dans la Passion du Christ qui anticipe et rend possible
sa résurrection et sa glorification. Quelle est ma perception personnelle de Dieu ? « Il est difficile de nous représenter
le Père. Peut-être nous approcherons-nous de la vérité
si nous pensons au Père comme à un coeur dont chaque battement
est un acte infini d’amour, comme à la Tendresse première
qui enveloppe tout ce qui existe. » (Notre Père p. 15) *
Jésus ne se borne pas à accomplir son rôle
de Fils du Père céleste. « Je serai pour eux un Père et ils seront pour moi des fils et des filles » (2 Cor. 6,16-18) A diverses reprises Jésus appelle Dieu non seulement
« son » Père mais «ton »
Père, votre « Père » : Si le Père céleste est mon Père, notre Père à tous, nous sommes ses enfants. Quelle joie de se découvrir fils et filles de Dieu, frères et sœurs du Christ ! « Le sauveur nous introduit dans une relation tout nouvelle avec Dieu et nous entraîne à sa suite à proclamer avec joie cette filiation divine à laquelle tous les hommes sont appelés » (Airaud) Jésus ouvre mes yeux et mon cœur à
cette intimité que j’ignorais jusque là. « Voyez quel amour le Père nous a témoigné
pour que nous soyons appelés enfants de Dieu ! Et nous le
sommes. Si le monde ne nous connaît pas, c’est qu’il
ne L’a pas connu.
Et c’est bien la prière du Christ, le vœu ardent qu’Il exprime juste avant sa Passion : « Toi et moi sommes un, qu’ils soient un comme nous sommes un » (Jean 17).
* Nous ? Pas seulement les chrétiens bien sûr, mais
tous les êtres humains qui se tournent vers le Père. Car il est évident que tous les êtres humains
n’en ont pas (encore) pris conscience, ou refusent toute référence
à Dieu et, plus encore à un Dieu Père. Cependant, nous pouvons ne pas percevoir Dieu comme un Père, mais le considérer comme un Maître et rester dans une mentalité d’esclave ou de serviteur qui attend de son maître la sécurité, la protection ou le salaire (comme des mercenaires), Mais nous pouvons aussi, et c’est à cela que le Christ nous invite, prendre conscience de notre qualité de fils et de filles et nouer avec Dieu une relation d’amour reconnaissant. Ce qui importe au serviteur, c’est la rétribution
(donnant-donnant). Nous sommes invités par le Christ à « passer
de la condition servile à celle de fils adoptifs », comme
l’écrit St Jean Cassien (Conférences IX , 18). Parce que la reconnaissance de cette dépendance
heurte le sentiment dominant d’autonomie, d’individualisme,
d’autosuffisance qui fait fureur à notre époque. * Dire que nous sommes fils et filles de Dieu, est-ce
une simple figure de style ou une manière symbolique de parler ?
Comme la Bible qui appelait Adam fils de Dieu (c'est-à-dire créé
par Lui) ? Si le fait de se savoir fils ou filles de nos parents
biologiques n’est pas difficile à admettre (on ne peut nier
la réalité de la génération et de la famille
humaine), cela bloque déjà nettement plus souvent sur le
plan psychologique. En effet, beaucoup de personnes refusent la paternité
divine (et spirituelle), car elles projettent sur le Père céleste
les difficultés, les blocages, les souffrances, les traumatismes
vécus avec leur père (ou leur mère) biologique(s). Olivier Clément affirmait qu’un des drames
de notre époque, c’est le refus de la paternité, le
rejet de la transmission (il faut être « interactif ou
ne pas être » !), le dénigrement de la tradition,
le refus de la dépendance à l’égard de ceux
ou celles qui nous ont précédés. Devenir Fils et Filles du Père, c’est entrer dans la kénose du Christ : nous effacer, nous ouvrir, nous vider pour nous emplir de la Présence de Dieu, accepter ses Dons, discerner et accomplir sa volonté, nous laisser conduire, guider, inspirer à chaque instant, dans nos pensées, nos paroles, nos actions et …notre silence.
Cette attitude rend à l’homme sa véritable dimension de « personne » (hypostase) et de fils (ou fille), c'est-à-dire de celui ou celle qui reçoit la vie d’un Autre, qui en prend pleinement conscience et qui, en retour, bénit le Père et Lui rend grâce pour ce don. * C’est aussi restaurer, raviver, notre désir de nous unir à Dieu. Nous tournant vers Lui dans une attitude d’ouverture totale, de gratitude infinie : « O Dieu, mon Dieu, (Père), je te cherche dès l’aurore, mon âme a soif de Toi. » (Psaume 63) « Le désir de Dieu est fondamental dans
notre prière et dans la vie spirituelle chrétienne. S’il est prononcé avec l’amour d’un
fils, d’une fille qui parle à son Père, ces deux petits
mots : « Notre Père » sont, à
eux seuls, une prière intense qui se suffit à elle-même.
« L’excellence de la prière ne
consiste pas dans la quantité mais dans la qualité…Mieux
vaut un seul mot dans l’intimité que mille dans l’éloignement…
* La filiation divine du Christ est de toute éternité,
elle est sans commencement et sans fin. * Notre filiation commence à l’Incarnation du Fils et passe par Lui, le seul Médiateur. Notre Seigneur Jésus, Fils unique du Père, nous élève à la dignité inouïe de frères et sœurs d’un être de nature divine. « Nous devenons par participation ce que le
Christ est de naissance. C’est en devenant membres du Christ que
nous devenons fils de Dieu » (Antoine Bloom p. 48) La filiation du Fils unique, le Verbe divin, est de toute
éternité « Avant l’Aurore de la création… ». « Dieu (le Père) a envoyé son Fils, né d’une femme…afin que nous recevions l’adoption. Et parce que vous êtes ses fils, Dieu a envoyé dans nos cœurs l’Esprit de son Fils qui crie Abba ! Père ! Ainsi tu n’es plus esclave mais fils, et si tu es fils, tu es aussi héritier par la grâce de Dieu » (Gal 4, 4-7) « Béni soit Dieu, le Père de
Notre Seigneur Jésus-Christ, qui nous a destinés dans son
amour à être ses enfants d’adoption par Jésus-Christ… »
(Eph 1, 3-6)
Le fait que nous devenions des fils et filles d’adoption
n’implique pas une qualité moindre, un peu dégradée,
comme celle de « fils et filles de seconde zone »
(comme dans le droit civil qui distingue les enfants légitimes
des illégitimes). Le Christ nous a élevés à la dignité de Fils de Dieu, de Frères et de Sœurs en Christ. Il nous partage avec nous sa dignité de Fils de Dieu pour nous élever vers le Père qui nous aime tendrement, comme Jésus Lui même nous aime (Jean 16, 27) « Le Père Lui-même vous aime parce
que vous m’avez aimé et que vous avez
Jésus nous enseigne que Son Père est Notre Père, et que nous sommes tous frères, dans de multiples passages, tels par exemple : « Vous êtes tous des frères …car
vous avez le même Père céleste » (Mat 23,
8-9). « Le Père les (nous) a destinés à être semblables à l’image de son Fils, afin que son Fils fût le premier-né entre plusieurs frères » (Rom 8, 29) « Le sauveur nous introduit dans une relation tout nouvelle avec Dieu et nous entraîne à sa suite à proclamer avec joie cette filiation divine à laquelle tous les hommes sont appelés » (Airaud) L’adjectif Notre (Père) (qui n’apparaît que dans St Matthieu, mais qui est confirmé par de nombreux autres passages des évangiles) apporte une caractéristique essentielle à la prière : sa dimension collective, ecclésiale, fraternelle. Cet adjectif « notre » qui qualifie
le Père céleste est d’ailleurs répété
en écho à plusieurs reprises dans la Prière, ainsi
dans les expressions : « Quand je dis le Notre Père avec sincérité en ne pensant à personne, en pensant simplement à Dieu, ce sont tous mes frères humains contemporains avec leurs souffrances, que je prends dans ma prière, que je rassemble dans ce « notre ». Je déborde les limites de mon moi » ((CH. Journet – « Notre Père qui es au cieux » p. 39) On ne réalise sans doute pas à notre époque égalitariste (du moins en paroles…) le bouleversement des mentalités et les difficultés concrètes provoqués, dans les premiers siècles du christianisme, par la prise de conscience de cette fraternité en Christ. « Devant ce Père, le riche et le pauvre sont frères ; devant ce Père, le maître et l’esclave sont frères, devant ce Père, le général et le simple soldat sont frères, les fidèles chrétiens, tous tant qu’ils sont, ont sur terre des pères de conditions diverses, les uns nobles, les autres sans notoriété, mais ils invoquent tous un seul Père qui est dans les cieux. » (St Augustin , Sermon 59) Être frères et sœurs, c’est être
unis entre nous par des liens plus forts que des liens affectifs ou familiaux.
Ce n’est pas de l’amitié. On peut être unis par
des liens fraternels sans être amis (et inversément) ;
nous en faisons chaque jour l’expérience dans l’Eglise.
Cette union entre le Christ et nous est exprimée
de manière imagée par St Paul par le symbolisme des membres
du même corps, (l’Eglise) unis à la tête (le
Christ). « Nous sommes fondus en un seul corps dans le Christ en nous nourrissant de son corps vivifiant » (Cyrille d’Alexandrie – Sur St Jean 11, 11) « Apprenons la merveille de ce sacrement, le
but de son institution, les effets qu’il produit. Nous devenons
un seul corps…membres de sa chair et os de ses os. C’est ce
que réalise la nourriture qu’Il nous donne : Il se mêle
à nous afin que nous devenions une seule réalité,
comme un corps joint à sa tête » (Jean Chrysostome
– Sur St Jean Homélie 46) * Nous touchons ici à la réalité
ecclésiale fondamentale. C’est le chemin essentiel, ontologique, vers la découverte des nos personnes et la relation profonde entre les personnes divines et humaines qui nous est proposé par le Christ, tel que Lui, le Chemin, l’a vécu, l’a montré, l’a incarné… Une personne ne peut être seule. Elle ne vit que
dans la relation interpersonnelle, et pour la relation. La personne requiert
toujours la présence d’autres personnes. Et seule la communion des personnes en relation permet la vraie connaissance, celle du coeur et ou plutôt des cœurs unis dans un même amour : « Ce n’est pas dans l’homme isolé que se trouve l’organe de la connaissance, mais dans l’union, dans la symphonie des esprits communiant dans l’amour….L’amour va plus profond que la connaissance…l’amour devient la condition spirituelle de la connaissance » (P. Evdokimov – Dostoeïvsky et le problème du mal p. 123) Prendre conscience de notre filiation divine c’est aussi aller vers Dieu comme des petits enfants. Nous touchons ici un autre point fondamental de l’enseignement de Jésus : accueillir Dieu et sa Parole comme des enfants. A plusieurs reprises, le Christ donne aux enfants et aux petits (tout-petits) une place d’honneur. Relisons par exemple les passages suivants : Les disciples l’interrogent : Le Christ appelle un enfant et le place au milieu d’eux et il leur dit : « Je vous l’affirme, en vérité, si vous ne changez pas pour devenir comme des enfants, vous n’entrerez pas dans le Royaume des cieux…Si quelqu’un se fait petit comme cet enfant, il sera le plus grand dans le Royaume des cieux » (Mat 18, 1 à 5) « Laissez les enfants venir à moi. Ne les empêchez pas. En effet, le Royaume des cieux appartient à ceux qui sont comme ces enfants…En vérité, si quelqu’un ne reçoit pas le Royaume de Dieu comme un enfant, cette personne ne pourra jamais y entrer » (Marc 10, 13-16) « Veillez à ne pas mépriser un seul de ces petits ! Car je vous le dis : leurs anges dans les cieux regardent sans cesse la face de mon Père qui est dans les cieux » (Mat. 18,10) + Ce qui est caché aux sages et aux intelligents (Luc 10, 21) Pourquoi le Christ accorde-t-il tant d’importance aux petits enfants et quel rapport cette question a-t-elle avec notre sujet ? Dissipons d’abord un malentendu en répondant
à l’objection qui surgit spontanément : il ne
s’agit pas d’idéaliser les enfants et de les confondre
avec des angelots purs et sans tache ! Ce serait faire preuve d’un
angélisme naïf. Ce n’est pas de tels petits êtres humains déjà envahis par les passions dont parle le Christ. Il évoque ici les tout-petits qui ont gardé la pureté du coeur, la naïveté, la spontanéité de comportement que l’on observe avec émerveillement chez les petits enfants (le plus souvent avant 3 ou 4 ans). « Un enfant qui rit et se réjouit est un rayon du Paradis, une révélation de l’avenir où l’homme deviendra enfin aussi pur et naïf qu’un enfant » (Dostoeïvsky- l’Adolescent) Quelles sont les qualités qui peuvent inciter Jésus à les donner en exemple et à en faire « les plus grands dans le Royaume des cieux » ? Nous venons de le dire : la pureté du coeur,
la spontanéité, mais aussi l’enthousiasme, la faculté
d’émerveillement, la sensibilité à la relation
affective, aux images, aux symboles, la fraîcheur, la candeur, l’absence
de calcul et de malice, la transparence, la perméabilité,
la faculté d’entrer dans un « coeur à cœur »,
sans rationaliser, sans intellectualiser les expériences vécues,
la facilité d’être, de s’investir totalement
dans ce qu’ils vivent dans le moment présent, sans arrière-pensées,
l’aptitude à accueillir ce qui vient et surtout, celui qui
vient. Quand Jésus nous demande de nous adresser à Dieu comme à un Père, de l’appeler Papa, il réveille en nous l’esprit d’enfance qui se caractérise par toutes les qualités que je viens d’énumérer. Ce qui est sans doute le plus important dans cette prière,
et dans l’attitude que Jésus a vécue et nous a enseignée,
c’est de nous reconnaître des enfants du Père céleste. Ce qui constitue aussi un enseignement fondamental de
cette prière transmise par Jésus, c’est de nous reconnaître
dépendants du Père, comme un enfant l’est vis-à-vis
de ses parents. « L’esprit d’enfance est affaire de confiance et de dépendance, autrement dit d’attitude de vie et d’abandon au Père » (Serge Molla : « Un esprit caché aux sages et aux intelligents » dans Une spiritualité d’enfant p 103) Cette attitude est radicalement opposée à
celle que l’on nous inculque souvent depuis l’enfance
: être le meilleur, le premier, le plus rapide, le plus malin, s’en
sortir par soi-même, être auto-suffisant…Dans notre
culture d’individualisme exacerbé, se mettre dans la dépendance
de l’autre est une aberration dangereuse, une faiblesse à
éviter… Pour le dire autrement, se reconnaître dépendants
de Dieu, du Père céleste, c’est entrer avec joie et
légèreté (quel soulagement !) dans la gratitude
(la louange) et dans la gratuité (je Te prie pour le bonheur de
te prier, de m’adresser à Toi, de t’aimer, non pour
recevoir en retour). C’est le seul programme, tout petit et tout modeste en apparence, en réalité infiniment riche et profond, que je nous suggère de mettre en pratique chaque jour pendant ce carême. Pour nous placer dans cette attitude de confiance et d’abandon filial et enfantin, entre les mains du Père qui nous aime, voici un beau texte d’Isaac le syrien que nous pouvons lire chaque jour pour nous en imprégner jour avant de prier : « Quand tu viens devant Dieu par la prière,
sois dans ta pensée comme la fourmi…comme un enfant qui balbutie.
NOTRE Père céleste, Toi, notre Père qui nous donnes la vie et l’être, Père très bon, qui nous aime avec Tendresse, Notre Père, notre Créateur Père céleste, Père des cieux, dont procède l’Esprit
Saint, Trinité sainte qui nous donne la Vie, Et nous Te rendons gloire, Père, Fils et Saint
Esprit, Amen * * * Les huit premières pages qui suivent constituent une reprise partielle (avec quelques variantes, de la première partie de ce travail, dès lors que les deux parties ont fait l’objet d’un enseignement oral donné à des dates éloignées dans le temps. Le lecteur qui ne souhaite pas se rafraîchir la mémoire peut donc sauter directement à la page 41 ( « Sur la terre comme au ciel ») Introduction Nous pouvons, au départ, nous remettre en mémoire quelques éléments essentiels déjà évoqués dans la première partie de ce partage sur la prière du Seigneur, car beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis le dernier exposé… * Cette prière sublime (mais qui est devenue banale
à force d’être répétée machinalement)
est celle de Notre Seigneur Lui-même. « La prière du Seigneur n’est pas seulement une prière mais toute une manière de vivre exprimée en forme de prière : elle est l’image de la montée progressive de l’âme de l’esclavage vers la liberté » (Antoine Bloom – Prière vivante p. 23) La prière n’est pas destinée à être dite, récitée avec application, mais à imprégner notre vie, orienter notre pensée, inspirer notre action, à informer au sens premier (donner forme) notre pâte humaine. Le Pater à nous enseigné par le Christ, est la plus vraie des prières, la plus complètement et parfaitement juste et agréable à Dieu, celle dont la flamme doit toujours brûler en nous » (Raïssa Maritain - Notes sur le Pater p. 153 et suivantes) A quoi bon réciter pieusement cette prière
si elle n’est pas un outil de transformation intérieure.
Si elle ne constitue pas notre programme de vie ? « C’est à la fois la quintessence
du message de Jésus, la prière idéale, un programme
de vie et puis ce quelque chose d’indéfinissable qui est
au-delà du texte, dont on n’est mystérieusement saisi
que par son approfondissement incessant et la visitation de l’Esprit…En
la faisant nôtre de tout notre cœur, le Christ nous enflamme
de la puissance de son Esprit et l’agir commun des deux nous ouvre
les entrailles du Père … Cette prise de conscience du caractère agissant
de la Prière est fondamental. « Dès que l’on se situe devant le regard de Dieu, s’ouvrant à Lui sans chercher même de réponse, commence la transformation de l’être…La prière nous fait découvrir âprement le va- et- vient de notre salle des pas perdus intérieure. L’essentiel alors est de demeurer avec patience, et lentement mûrira le fruit d’où la prière s’écoulera comme une eau fraîche et tranquille. Ce fruit est le renoncement à soi-même. » (Mgr Jean- technique de la prière). Progressivement notre « salle des pas perdus » (ou des occasions manquées), où le remue-ménage des pensées contradictoires et volatiles, des états d’âme changeants et des passions désordonnées s’en donnent à cœur joie, fait place à la « chambre intérieure » où le Christ nous invite à prier le Père céleste « qui voit dans le secret » de nos cœurs (Mat 6/6). * Pour découvrir cette chambre intérieure, creuser en nous cette grotte, ce temple où Dieu réside, les pères nous invitent, non seulement à « dire » la prière plusieurs fois par jour, mais surtout à la vivre, à l’incarner dans notre quotidien. Et, pour qu’elle s’incarne en nous, nous pourrions
commencer à prendre l’habitude de ne pas la réciter
d’une traite, de manière machinale, comme c’est souvent
le cas, sans y attacher plus d’importance que ne le fait l’enfant
qui chante une comptine.
* La prière du Seigneur, nous l’avons déjà évoqué, contient deux grandes parties et 7 demandes essentielles… Le chiffre 7 n’est pas le fruit du hasard : il symbolise la totalité, la plénitude, comme on le voit dans de nombreux passages de la Bible (nombre de jours de la Genèse et de la semaine, chandelier à 7 branches (Menorah) dans le Nouveau Testament (7 dons de l’Esprit , 7 diacres, pardonner 7 x 77 fois…) et en particulier dans l’Apocalypse (7 églises, 7 archanges, 7 sceaux, les 7 trompettes…) Mais à y regarder de plus près, on s’aperçoit que la louange est étroitement unie à l’attitude de demande car la prière comprend aussi deux parties distinctes et complémentaires : + La première partie qui comprend trois demandes ou trois invocations: Notre Père qui es aux cieux (ou céleste) Sur la terre comme aux cieux (au ciel). est centrée sur Dieu et résonne comme une louange à son Nom, à son règne à sa volonté sainte. + La seconde partie, qui contient quatre demandes, concerne notre vie terrestre et nos besoins spirituels vitaux : Donne nous aujourd’hui notre pain substantiel * Avant d’aborder les trois premières demandes
contenues dans la prière et sans revenir trop longuement sur ce
qui a été dit dans la première partie de ce partage,
rappelons-nous, car c’est essentiel, que la prière commence
par nous mettre en relation, en présence d’une Personne,
d’un Dieu PÈRE (et Mère), un Dieu qui a des entrailles,
un ventre matriciel (Rah’amin), un Dieu d’amour, un Dieu tendre
qui attend chaque homme dans le secret de son cœur. Le cœur humain peut devenir un temple, un « Saint
des saints », le tabernacle de la Présence divine. Nous avons une immense responsabilité vis-à-vis de nous-mêmes et de l’humanité tout entière (sur laquelle notre état intérieur rejaillit, en bien comme en mal) : celle de transformer notre cœur de pierre en cœur de chair pour y accueillir Dieu et la chaleur de son Amour. « Dès que l’homme entre en lui-même et retrouve le vrai silence, il sent comme une attente qui vient du Père, qui est présent dans le secret (Mt 6,6). Le Père parle par son Fils, sa Parole. Elle n’accable pas, elle témoigne de sa proximité immédiate : « Voici que je me tiens à la porte et je frappe » (Apo 3, 20) (Paul Evdokimov, L’amour fou de Dieu p.37) Quel renversement de perspective ! Dieu, patiemment,
humblement, attend l’homme dans la chambre de son cœur. « Dieu était là et je ne le savais pas » s’écrie Jacob (Gen 28 ,16) * Nous pensons parfois que notre prière est un effort pour atteindre Dieu qui serait loin de nous, dans un ailleurs, hors de notre portée, alors que le Christ nous montre au contraire qu’Il est tout proche et que c’est Lui qui nous attend au cœur de nous-mêmes ! Le cœur humain, accessible à chacun de nous dans le secret, dans le silence, est devenu le vrai lieu de la rencontre amoureuse entre l’être humain et un Dieu tendre, aimant, paternel ! « Nous sommes engagés à entrer, non dans les pièces cachées d’une maison, mais dans la chambre de notre cœur et à prier Dieu dans le secret de notre esprit » (St Hilaire de Poitiers) * Je ne reviens plus sur les premiers mots de début
de la prière : « Abba, Père céleste,
Notre Père qui es aux cieux », et je vous invite à
relire la première partie de l’exposé où nous
avons vu le caractère essentiel, vital, (dans la prière
et dans la vie) de cette paternité divine et de la filiation qu’elle
révèle entre le Père et le Fils, mais aussi entre
le Père divin et nous.
Les trois premières demandes ne sont pas simplement
des demandes. Elles expriment plutôt un désir, celui de voir
glorifier Dieu, son règne advenir, et sa volonté s’accomplir
en nous et parmi nous, comme déjà ils le sont dans les cieux,
dans le monde angélique et la communion des saints. « L’adoration des trois premières demandes chante la grandeur de Dieu Notre Père » (Carmignac, page 112) « Sur la terre comme aux cieux, que Sanctifié
soit Ton Nom ! Oui ! * Ce qui est magnifique, c’est que nous ne débutons
pas la prière en pensant à nous-mêmes, à nos
besoins, par des demandes « terre à terre »
qui nous concernent, mais nous la commençons en rendant gloire
à Dieu, à Son Saint Nom, à Son règne, à
Sa volonté. Le début du Notre Père nous décentre
donc de nous-mêmes et nous tourne vers Dieu. « personne ne peut rien prendre qui ne lui
soit donné du ciel » (Jean 3, 27 et 6, 65) Le père Sophrony écrivait : « Plus une personne aime Dieu, plus elle Le
connaît…l’amour unit l’être profond. Tout
rejet des autres et toute fermeture nous prive de vie. La prière,
l’amour et les larmes nous rapprochent de la « science »
la plus noble qu’est la connaissance du Père, du Fils et
de l’Esprit saint » (Exposés ascétiques
cité par N. Sakharov –J’aime, donc je suis p. 28) Dans la tradition biblique et chrétienne, amour
et connaissance sont étroitement mêlés, sinon même
confondus. On ne peut connaître sans aimer et on ne peut aimer sans
accéder à une connaissance véritable de l’être
aimé. * Les trois premiers phrases de la prière ne peuvent
être considérées comme des demandes au sens étroit,
mais sont des cris du cœur. Elles expriment un assentiment enthousiaste
à l’Etre divin en Trois Personnes (le Père que l’on
prie, le Fils en qui le saint Nom est sanctifié et l’Esprit
qui inaugure le Royaume de Dieu sur la terre comme au ciel). « La révélation trinitaire s’inscrit
aussi dans la prière que nous a enseignée Jésus lui-même,
le Notre Père, dont les premières demandes invoquent les
Trois Personnes divines. Eveillons-nous à cette réalité essentielle :
nous entrons ainsi en communion non seulement avec le Père explicitement
invoqué, mais aussi avec les Trois Personnes divines. * Le début du Notre Père c’est l’être humain qui dit à Dieu : « Toi d’abord ! » « Que, sur la terre comme au ciel, ton Saint
Nom soit glorifié, que ton Royaume advienne, Que Ta volonté
soit faite ».
Nous avons l’habitude de dire cette phrase après
« que ta volonté soit faite » comme si elle
ne se rapportait qu’à celle-ci. La sanctification du Nom, l’avènement du Règne et du Royaume, l’accomplissement de la volonté du Père doivent rayonner sur la terre et le ciel, qui désignent symboliquement toutes les parties et tous les êtres créés du monde visible et invisible. * L’on cite deux fois le ciel ou les cieux dans le début de la prière : « Notre Père des cieux (ou Notre Père céleste) et « sur la terre comme au ciel ». Les « cieux » ne désignent
pas un lieu matériel, localisable (comme le ciel bleu derrière
les nuages). * Première réalité : le monde
invisible où vivent les anges et les saints dans le rayonnement
de la gloire divine. Mgr Jean rappelle à ce propos : « L’Eglise enseigne que le monde visible,
ou que nous nommons ainsi – c'est-à-dire le système
solaire avec notre terre et sur cette terre l’humanité –
représente symboliquement un sur cent (1%), et que le vaste monde
invisible, le monde angélique, représente 99%... N’oublions pas que nous évoquons le monde angélique en termes de myriades…c'est-à-dire un nombre infini, illimité. * Deuxième réalité « Nous portons au-dedans de notre corps humain
- plus profondément même : au-dedans de notre âme
humaine – un monde spirituel humain avec, au centre, la demeure
de Dieu. Trois cercles. Avons-nous conscience d’être le « temple
de l’Esprit Saint », comme l’écrit magnifiquement
St Paul (1 Co 6/19) ? « Concevez une seconde que vous êtes le temple du Saint Esprit, comprenez la profondeur et la complexité de l’être humain et vous réaliserez jusqu’où est tombée notre conscience » (Mgr Jean - Technique de la prière). * Troisième réalité « Les cieux sont en Dieu plus que Dieu n’est
dans les cieux, car l’ailleurs auquel nous aspirons n’est
pas un lieu mais un mystère infini d’échange d’amour. »
(Airaud) Dans le Principe (c'est-à-dire le Père),
Dieu n’habite pas sur terre qui, elle, est bien un lieu, celui des
créatures que nous sommes. Le ciel est descendu sur terre et peut entrer dans nos cœurs, Temple et Trône de Dieu. * Pour résumer tout cela, laissons à nouveau la parole à Mgr Jean : « Lorsque nous chantons Notre Père qui es aux cieux, nous signifions donc que, au-delà de nous, vit l’infini cosmos angélique, spirituel, dont nous ne sommes qu’une infime parcelle ; que Dieu n’est pas seul, qu’Il est entouré des saints, des anges ; et que les cieux ne figurent pas seulement les hauteurs spirituelles englobant l’univers, mais qu’ils sont en nous » (Technique de la prière)
* *
* Rien dans le Notre Père n’est évident. Les mots employés sont simples, ils appartiennent au langage commun. Et pourtant, leur sens ne saute pas aux yeux. Mgr Jean de St Denis souligne qu’il y a là
une pédagogie divine, typique de l’enseignement du Christ :
employer des mots simples et des images pour révéler des
mystères, des choses profondes qui ne peuvent être cernées,
ni clairement exprimées par notre langage habituel et par notre
intelligence rationnelle. Ecoutons Mgr Jean s’exprimer à ce sujet : « Admettons un instant que l’Ecriture
sainte ou l’enseignement spirituel d’une prière telle
que le Notre Père se livre pleinement, que tout y soit aisé,
sans matière à discussion. Qu’adviendra-t-il à
l’âme humaine ? Elle s’installera dans cette compréhension
comme dans un fauteuil…et la mort survient précisément
lorsque l’homme a trouvé le confort… * Ce caractère énigmatique s’applique
bien à cette première demande : Pourtant, nous devons faire confiance au Verbe incarné : Il sait ce qu’Il dit (sinon, où allons-nous ?) et les mots qu’Il emploie dans l’unique et très courte prière qu’Il nous a donnée, ne sont pas là par hasard. On s’en doute… * Pour tenter de nous approcher du sens de cette première
demande – je dis bien « tenter » car le sens
profond est si riche qu’il ne pourra être épuisé
en quelques phrases, ni même en quelques heures – nous pouvons
isoler momentanément les trois mots de cette phrase : le Nom,
la sanctification et le verbe passif « (qu’il) soit ».
Peut-on nommer Dieu ? Pourquoi Le nommer et comment Le nommer ? Ce ne sont pas des questions anodines, car beaucoup de gens sur terre ne nomment pas Dieu, soit parce qu’ils ne le peuvent pas, soit parce qu’ils ne le veulent pas. Ils ne le peuvent pas ? Ils ne le veulent pas ? * En effet, en ce qui concerne la connaissance du Nom,
la Tradition nous dit : « Notre connaissance (de Dieu) découle d’une Révélation d’en haut » (Père Sophrony) Attention au risque d’orgueil qui peut nous pousser
au refus de nommer Dieu, d’accepter Sa révélation,
pour nous perdre dans les sphères éthérées
d’un « nuage d’inconnaissance » (je
ne vise évidemment pas ici le livre du même nom mais l’attitude
qui consiste à refuser de donner à Dieu les Noms qu’Il
nous révèle et de préférer honorer un Dieu
abstrait, inaccessible, plutôt que le Dieu vivant d’Abraham,
d’Isaac, de Jacob et de Moïse, qui parle et Se révèle
à l’homme pour que l’homme lui réponde et entre
en relation avec Lui). N’est ce pas une forme de refus de son amour extatique? Comme l’écrit le père Sophrony :
« La connaissance ontologique résulte
de la communion dans l’être et non d’une hypothèse
intellectuelle » cité par N. Sakharov P. 44) * Lorsque nous nommons Dieu, la position juste, pour nous
chrétiens, consiste à dire : c’est vrai, aucun
Nom ne peut cerner Dieu ni épuiser son mystère, aucun nom
n’est adéquat, seul l’émerveillement peut tendre
vers Lui. « Apophatisme » (négation) et « cataphatisme » (affirmation) sont les deux faces de la prière chrétienne. Les deux mamelles de notre tradition théologique.
Dans la Bible, le Nom n’est pas une étiquette extérieure, une enveloppe vide, un trompe-l’œil destiné à un premier niveau de piété populaire (alors qu’une « élite » plus avancée en spiritualité pourrait se passer de nommer Dieu en s’immergeant dans le silence contemplatif au-delà des mots). Les Juifs donnaient à Dieu plusieurs noms traduisant chacun un aspect de son Être, de son action, un attribut (El, Elohim, Shaddaï, Adonaï, Seigneur Sabaoth, Saint, Emmanuel, YHWH…) Et l’on voit Moïse, interpellé par Dieu
au Buisson ardent, qui très naturellement lui pose cette question
essentielle : Rappelons-nous que pour le sémite (le « porteur
du nom » – « shem », le sémaphore
de Dieu ?), un être, une chose n’a de réalité,
ne vient à l’existence que si elle peut être nommée. « Chez les anciens Hébreux, le « shem », le nom, enclot la nature secrète d’un être ; il est comme son émanation, sa présence active et mystérieuse. Active parce que c’est à travers son nom que l’être veut se manifester ; mystérieuse, parce que le nom révèle la personne. Ainsi connaître quelqu’un par son nom, c’est le connaître jusqu’aux tréfonds, là où il est unique » (dans « La voix d’un père du désert » p. 189) * Il est donc très important de pouvoir nommer
Dieu pour le connaître et le reconnaître. Remarquons que la justesse d’un Nom suppose le discernement, qualité spirituelle essentielle que seul l’Esprit Saint peut nous communiquer. Car le Nom cerne au plus près (sans jamais y parvenir
toutefois) la place, la mission, et la réalité d’un
être, d’une chose, sa présence, son essence. Comme l’écrit Mgr Jean à ce propos : « Les choses innommées , pour
la pensée chrétienne, n‘existent pas. Les choses faussement
nommées sont corrompues et les choses véridiquement nommées
sont transformées. Le nom perce la connaissance et l’essence
des choses. Il dépasse tout raisonnement discursif, analytique
ou synthétique. Il nous fait attraper, nous met en contact avec
ce que nous nommons, nous permettant par sa vertu de changer ce qui est
nommé. Le nom consciemment et purement articulé projette
une telle force que l’apôtre Pierre guérit un malade
par le Nom de Jésus. C’est une forteresse et un char d’assaut. * Le Dieu qui se révèle à Moïse (et dans toute la Bible) est le Dieu vivant des patriarches. Un Dieu personnel qui se nomme et entre en relation avec sa créature. Nous le voyons dans le récit du Buisson ardent quand il se révèle à Moïse qui, de manière réaliste et féconde, en bon sémite, lui demande son NOM. Dans le livre de l’Exode (chapitre 3), il faut insister sur le fait que ce n’est plus l’homme qui nomme Dieu mais Dieu qui Se donne à Lui-même un Nom : « Je suis qui je suis, qui j’étais et qui je serai » (puisqu’il n’y a pas de temps dans cette expression en hébreu). C’est un Nom magnifique et mystérieux que
l’homme n’aurait pas pu inventer. Qui est-Il en définitive ? Dieu se donne
et demeure caché dans le Nom YHWH: Les Hébreux finiront par remplacer le Nom de « YHWH »
par des noms moins « chargés » tels Elohim
(Dieu(x) ou Adonaï (Mon Seigneur). « Ceux qui invoquaient son Nom »
(Ps 99, 6)
De quel Nom s’agit-il dans la Prière du Seigneur lorsqu’il dit : « que Ton Nom soit sanctifié, » ? Avant tout, bien sûr, celui de Père auquel la prière est adressée. « Père céleste, que Ton Nom
soit sanctifié ». « Qui oserait dire à l’Inconnu (YHVH), à la conscience d’être, à « Je suis » (Eyeh), au Sens (El), à l’harmonie des mondes et des êtres (Yah), à l’énergie créatrice (Elohim), à la grande Mère (Shaddaï), au Seigneur de l’univers (Adonaï), à la justice même (Shabbaot) : « papa » ? Qui oserait s’en reconnaître le fils ou la fille ? » (Une lecture spirituelle du Notre Père) Mais en révélant le Nom nouveau de Père, Jésus révèle nécessairement aussi le Nom de Fils divin. Jésus nous révèle la proximité
ontologique du Père et du Fils, leur caractère indissociable
Le Fils est l’Image parfaite, sa Parole vraie (Logos).
« J’ai manifesté ton Nom aux
hommes. » (Jean 17, 6 et 26) Le Nom du Père (c'est-à-dire Sa Personne,
sa présence, sa gloire, son rayonnement) est manifesté,
révélé par le Fils, son Verbe, sa Parole. * C’est pour cela que la tradition établit une correspondance étroite entre cette première demande (« Que ton Nom soit sanctifié ») et l’oeuvre du Fils de Dieu (comme elle le fait entre la seconde demande et l’Esprit saint comme le verrons ci-après) « Que Ton Nom soit sanctifié :
Fils et Verbe ; c’est au Nom du Christ que le monde est sauvé.
Il est le Nom, le manifesté du Père non manifesté »
(Mgr Jean Technique…) * Mais nous serions bien incomplets si nous oubliions
le rôle fondamental et révélateur de l’Esprit
Saint qui « gémit ineffablement au-dedans de nous »
et murmure le Nom du Père (Gal 4/6, Rom 8/ 15 et 26) et sans lequel
nous ne pouvons reconnaître Jésus comme le Fils de Dieu (1
Co. 12/3). * Nous pouvons donc prendre conscience que le Nom de Dieu
invoqué dans la prière n’est pas seulement celui du
Père, mais celui des trois Personnes divines que nous révèle
Jésus : le Père, le Fils et l’Esprit Saint.
* Que veut dire « sanctifier » le Nom de Dieu, c'est-à-dire Dieu Lui-même, Père, Fils et Esprit Saint ? Nous savons que la sainteté de Dieu est ce qui
le caractérise avant tout. * Rappelons que nous ne cessons de proclamer la sainteté
de Dieu dans nos chants liturgiques
On peut l’évoquer avec d’autres mots
comme la Gloire, le Mystère du sacré, le Poids, la Puissance,
la Transcendance… « Faute de mieux on est souvent obligé de traduire par « saint » mais en voyant dans cette « sainteté » une supériorité essentielle…les termes grandeur », « majesté », « toute-puissance », malgré leurs inévitables déficiences évoquent parfois aussi bien que celui de « sainteté » cette ineffable transcendance du Créateur » (J. Carmignac- A l’écoute du Notre Père - p.25) « La sainteté est l’aspect resplendissant de la majesté du Créateur et la sanctification le blanchiment de toute tache, de toute ombre par la communication mystérieuse de la lumière inaccessible du Tri unique, le dévoilement de la gloire dans ce qui est sanctifié. » (Mgr Jean- Technique de la prière) * Si l’on remonte à l’étymologie
du mot saint en hébreux, nous trouvons le mot « quadesh »
(ou « quodesh ») qui signifie « séparé »,
« autre », « distinct », « mis
à part ». La prise de conscience de la Sainteté de Dieu provoque
l’étonnement, la fascination et « la crainte et
le tremblement ». « (Des séraphins) criaient « Saint, saint, saint, le Seigneur tout puissant, sa gloire remplit toute la terre ! »…Je dis alors « malheur à moi ! Je suis perdu, car je suis un homme aux lèvres impures…et mes yeux ont vu le Roi, le Seigneur tout-puissant ». (Is 6, 3 et 5)
* Cette manifestation peut prendre différentes formes. Dans l’Ancien Testament, elle est souvent spectaculaire : Dieu se révèle dans des théophanies grandioses (dans le feu, le tonnerre, une colonne de feu, la voix des grandes eaux, des calamités surnaturelles…) suscitant la prise de conscience d’une Présence terrible, d’une puissance irrésistible qui dépasse l’homme et le fait trembler, le jette à terre dans l’effroi et l’adoration de Celui qui le dépasse infiniment. C’est alors Dieu qui Se sanctifie Lui-même c'est-à-dire qui manifeste aux hommes sa Sainteté, le rayonnement et le poids de Sa Présence, Ses énergies incréées auxquelles nul ne peut résister. Peut-être ces passages épiques conviennent-ils
mieux à une sensibilité archaïque où il s’agit
de « frapper un grand coup » « de marquer
les esprits » pour manifester à l’homme mal dégrossi
une Sainteté qui l’éblouit. Dieu va changer de pédagogie dans le Nouveau Testament,
avec la venue personnelle du Christ dans notre chair. « (Dieu) révélera le Visage tant
attendu de ce « Je suis » par l’Incarnation
du Verbe ; YHWH c’est Jésus de Nazareth, le « Nom
que je porterai pour les générations futures, dit Dieu (Exode
3,15). La sanctification du Nom divin devient ainsi l’œuvre
du Fils, le Christ Jésus qui manifeste et glorifie le Nom du Père,
mais révèle aussi le sien (celui de Fils) et l’existence
de l’Esprit Saint. « J’ai manifesté Ton Nom aux hommes »
(Jean 17/6) Plusieurs Pères soulignent que puisque la sanctification (manifestation, révélation) du Nom divin est l’oeuvre spécifique du Fils, cette phrase du Notre Père met en valeur l’action du Christ. Sanctifier le Nom divin, c’est donc rendre hommage non seulement au Père, mais aussi au Fils qui le révèle pleinement en manifestant son Visage (sa Face – d’où l’art iconographique – « Qui m’a vu a vu le Père »)) et sa Parole (Son Verbe) aux hommes. Par exemple Maxime le Confesseur :
« Un seul est saint, un seul est Seigneur, Jésus Christ, à la gloire de Dieu le Père ». * Sainteté du Père, Sainteté du Fils.
Sainteté aussi de l’Esprit Saint qui communique aux hommes
ces énergies divines sanctifiantes et qui leur permet de prier
le Père et de reconnaître le Fils divin. * Le Nom de Jésus, intimement uni à Celui du Père, devient lui aussi une force agissante, une puissance de guérison que nous invoquons dans la prière de Jésus. « Nous sanctifions son Nom par la prière incessante, c'est-à-dire la conscience permanente de Sa Présence et de sa volonté en nous. Cela nous met dans l’axe de son Nom. » (patriarche Shenouda) Nous voyons très concrètement cette sanctification
(glorification) du Nom de Jésus dans les actes des apôtres
et dans St Paul. * * Nous abordons maintenant le troisième plan de la sanctification du Nom, sans doute le plus important pour nous, hommes et femmes qui tentons de mettre Dieu au centre de nos vies: « Que Ton Nom soit sanctifié par nous et en nous ». Car, au fond, Dieu n’a nul besoin de manifester Son Nom, si ce n’est dans la relation d’amour qu’Il noue avec ses créatures afin de leur communiquer Sa Sainteté Pour cela il faut d’abord prendre conscience, reconnaître cette sainteté qui, à la fois nous dépasse infiniment et nous est communiquée intimement. Beaucoup de personnes ne connaissent pas Dieu et ne sont
pas éveillées à Sa Présence, à Sa Sainteté. « Parce que des millions d’hommes ne descendent jamais dans cette profondeur céleste et que nous-mêmes le faisons si peu, nous prions maintenant pour la sanctification du Nom. Quelle souffrance de savoir que la plupart des hommes ne connaissent pas le trésor qui les habite et ne goûtent pas au véritable bonheur ! C’est le Fils incarné en Jésus Christ qui vient le révéler et le faire connaître » La sanctification du Nom divin suppose que Dieu soit nommé (par son Nom), c'est-à-dire, connu, reconnu et qu’on Lui donne la place qui doit être la sienne dans notre vie. C'est-à-dire au centre de notre être, dans toutes nos pensées, nos paroles, nos actes…comme le faisaient les premiers chrétiens surnommés les invocateurs du Nom dans un élan enthousiaste (n’est-ce pas là la réalité essentielle de la foi ?) que nous avons le plus souvent perdu : « Le chrétien est plongé, immergé
dans l’Amour, c’est donc par tout son être qu’il
doit sanctifier le Nom ! Quand on lit les actes des apôtres,
on voit que les premiers chrétiens faisaient tout au Nom de Jésus ;
leur vie était vouée au saint Nom. Il était pour
eux une force réelle et un soutien puissant au sein du quotidien.
D’où cette joie extraordinaire qui rayonne partout dans ces
textes et qui était vraiment la tonalité de l’Eglise
primitive…Le saint Nom les avait libérés de toute
angoisse et ils allaient dans l’arène en chantant la Gloire
de Dieu qui les avait visités ! C’est pourquoi nos pères
se réjouissaient de répéter le Saint Nom des milliers
de fois le long de la journée. » ( Amba Shenouda) * La sanctification ne se limite pas à invoquer
et honorer le Nom trois fois saint, par des paroles, des prières
ou des rites, malgré toute la beauté, la richesse et la
profondeur de ceux-ci. « La sanctification est la communication de
cette sainteté.
Ce qui est important, c’est de garder un parfait
équilibre entre ces deux mouvements complémentaires :
extérieur-intérieur, haut-bas, transcendance-immanence…pas
de montée sans descente, pas d’extériorité
sans intériorité, pas de transcendance sans immanence…au
risque de tomber soit dans un excès de ritualisme, soit dans un
excès de mysticisme. « Deux tendances dominent la religiosité humaine (je dis religiosité) : l’une conçoit spatialement la religion : Dieu est en haut et nous en bas, et en priant, nous nous élevons vers Lui. L’autre conçoit la religion à l’intérieur : Dieu est en nous, contraire à ce qui est extérieur. L’enfer est le sous-sol, le monde inférieur…Si vous demeurez, avec les mystiques, dans la seule conception intériorisante, ou si vous ne quittez pas la vision extérieure des hauteurs, vous tomberez dans une mystique incomplète ou une piété extérieure. Le mystique et l’homme pieux sont incomplets. Le chemin véritable n’est point partagé. Celui qui prie réellement s’intériorise et s’intériorisant, s’élève. L’attitude chrétienne précédant la prière consiste, certes, à se placer devant Dieu, mais aussi à abandonner le monde extérieur et à entrer en soi…Ne nous laissons pas entraîner à la superficialité ou à un mysticisme incapable de comprendre le sens cosmique et universel de notre religion. En nous dégageant des couches inférieures de notre être intérieur, nous retrouvons les cieux et, du même coup, notre âme monte vers les hauteurs ». (Technique de la prière)
Nous ne nous étendrons pas longuement sur cette partie de phrase car elle a été expliquée de manière implicite par tout ce qui précède. « Que soit sanctifié le nom » est au mode subjonctif et a une tournure impersonnelle. Jésus ne dit pas à l’impératif
: « Père sanctifie Ton Nom », ni « sanctifiez
le Nom de Dieu ». « Vois comme l’évangile s’exprime
avec justesse ! Il ne dit pas : Père sanctifie ton Nom
en nous…de peur que Dieu ne paraisse se sanctifier lui-même
dans les hommes… et qu’ainsi, Il ne fasse acception de personnes. Cette observation nous rappelle l’importance de
la synergie entre Dieu et nous. Ce que nous venons de dire de la sanctification du Nom
peut être synthétisé et redit sous forme de prière
en nous tournant vers la Divine Trinité.
Père céleste, Tu es inconnaissable Tu te fais à connaître par la Révélation Tu dévoiles Ton visage qui est celui de l’Amour. Tu donnes tout ce que tu as et tout ce que tu es Ta sainteté rayonne sur le visage de Jésus,
Ton image parfaite. Cette Lumière qui vient de Toi, Nous sommes porteurs de la sainteté qui est ta
Vie même Père très Saint, Amen.
Je rappelle ces évidences pour garder la souplesse
et la richesse de sens de cette deuxième demande qui vise à
la fois le règne (du Roi) et le royaume. Nous voici en face de plusieurs réalités et nous allons porter l’éclairage sur celle qui me paraît la plus essentielle : celle du Royaume qui revient sans cesse dans le Nouveau Testament. * LE ROYAUME ? Voilà une réalité mystérieuse et d’une importance extrême qui est vraiment au coeur de la prédication de Jésus. Les évocations du Règne ou du Royaume de
Dieu apparaissent plus de 130 fois dans le Nouveau Testament (dont 50
fois en Saint Matthieu) ! Nous évoquons d’ailleurs souvent le Royaume
dans nos prières liturgiques et, en particulier dans l’ouverture
du chant des Béatitudes : Que signifie cette deuxième demande du Notre Père ?
Mais avant d’aborder ces questions, je vous invite à une petite rétrospective historique dans l’ancien Israël , avant la venue du Christ pour y trouver les signes avant-coureurs du Royaume. * Les annonces du Royaume dans le premier Testament Le thème du Royaume de Dieu est ancien. Il ne jaillit pas dans la bouche du Christ comme une parole
nouvelle et imprévue, mais plonge ses racines dans l’Ancien
Testament. Parmi de nombreuses autres, quelques citations pour illustrer
cette réalité : La Loi donnée à Moïse par le Souverain
de l’univers est une manifestation de son règne et la reconnaissance
de sa royauté par ses sujets. Même quand Israël va instaurer le régime politique de la monarchie, elle verra le roi comme choisi et subordonné au Roi des rois, YHWH qu’il représente. « Le Seigneur, Dieu d’Israël m’a
choisi sur Israël » proclame le roi David (1 Ch 28,5) Le premier Testament rappelle constamment que les rois sont de bons rois s’ils se soumettent à YHWH et lui obéissent en tout. De mauvais rois s’ils s’en écartent et égarent le peuple loin du Seigneur des seigneurs. La chute de la dynastie du roi David après la prise
et la ruine de Jérusalem en l’an – 587, a pour cause
la rupture, la désobéissance des rois envers Celui dont
ils ont reçu le pouvoir et qu’ils ont trahi. On voit apparaître dans ce contexte la célèbre prophétie d’Ezéchiel sur la venue du Fils de l’Homme qui vient sur les nuées du ciel. « Par-dessus le firmament qui était sur leurs têtes, telle une pierre de lazulite, il y avait la ressemblance d’un trône ; et, au-dessus de cette ressemblance de trône, c’était la ressemblance, comme l’aspect d’un homme, au-dessus, tout en haut…je vis comme l’aspect d’un feu et d’une clarté tout autour de lui…C’était l’aspect, la ressemblance de la gloire du Seigneur. Je regardai et je tombai sur mon visage et j’entendis une voix. » (Ez. 1, 25 et suivants) On voit poindre, avec cette apparition du Fils de l’Homme, l’annonce de l’homme-Dieu, de la venue du Verbe divin dans notre chair. Ainsi se forme progressivement, dans la pensée
biblique, la conviction que le Royaume de Dieu n’est pas de ce monde,
mais appartient à une Réalité future, en gestation.
° Il est aussi bon de relever que la tradition juive elle aussi appelle de ses vœux l’avènement du règne de Dieu dans une prière très connue : le Quaddish, qui préfigure le Notre Père : « Que soit magnifié et sanctifié
son grand Nom…
* Le Royaume annoncé et inauguré par le Christ Il est frappant de constater que l’annonce de la
proximité du Royaume se situe dès le début de la
vie publique de Jésus annoncé par Jean Baptiste :. Ainsi, Jean le baptiste et Jésus mettent-ils tous
deux l’accent sur le repentir lié à la proximité
d’un mystère appelé le Royaume. Je vous propose de mettre en évidence le lien étroit,
vital entre la réalité du Royaume et la vie et l’enseignement
de Jésus selon deux axes : * Première approche : Le Royaume est annoncé par le Christ Comme nous l’avons dit, le thème du Royaume
est au cœur de l’enseignement de Jésus. Il en parle
à tout bout de champ et sous de nombreuses formes : Qu’est ce que le Royaume ? S’il est une chose bien claire (et c’est peut
être la seule !), c’est que le Royaume de Dieu est totalement
étranger à une conception politique, purement terrestre. Mais qu’est-il alors ce mystérieux Royaume ? Jésus va donc, tel un peintre impressionniste,
évoquer le mystère du Royaume par petites touches colorées,
des symboles, des paraboles très imagées qui nous en font
humer le parfum. ° Jésus souligne la valeur inestimable du Royaume
en le comparant ° Le Christ compare aussi le Royaume à un filet de pêche qui ramène toutes sortes de poissons (Mat 13, 47) (N’oublions pas que Jésus s’adresse à des pêcheurs !) ° Le Verbe compare aussi le Royaume au monde végétal, caractérisé par une croissance lente et souvent secrète, cachée, enfouie dans le sein de la terre. Une petite plante appelée à se développer, à devenir très grande : Ainsi les paraboles ° La même idée de croissance est reprise dans la parabole du levain dans la pâte (Mat 13, 33). Arrêtons-nous un instant sur cet aspect essentiel
du Royaume annoncé : « Le Royaume de Dieu ne vient pas de manière à frapper les regards. On ne dira point : il est ici, ou : il est là. Car voici, le Royaume de Dieu est au milieu de vous. » (Luc 17, 20-21) ° Le Royaume prend racine et grandit, mais cette croissance
positive est étroitement mêlée, parasitée par
celle, négative, d’une autre réalité trop humaine (et
même démoniaque comme nous l’avons déjà
rappelé): la présence du mal, comme l’évoque
la parabole du bon grain et de l’ivraie qui poussent et grandissent
ensemble jusqu’au jour de la moisson (Mat 13, 24). ° On peut ainsi distinguer trois temps successifs
de l’avènement du Royaume ou du règne de Dieu :
La Parole de Dieu (celle du Verbe) joue un rôle essentiel dans l’apparition et la croissance du Royaume comme le montrent les paraboles déjà citées du semeur et du grain de senevé : c’est la Parole divine qui est la graine du Royaume, du moins quand elle est accueillie par les hommes. Nous reviendrons plus loin sur cette réalité
essentielle du développement temporel du Royaume dans l’histoire
et atemporel dans l’eschatologie. Il est important de constater que le Christ ne se borne pas à évoquer le Royaume en paroles inspirées. Par sa manière de vivre, par les guérisons
et les miracles qu’il opère…Le Christ nous montre que
le Règne de Dieu n’est plus une réalité abstraite
et lointaine mais qu’il a déjà commencé à
se réaliser sur notre terre. « Guérissez les malades et dites leur :Le
Royaume s’est approché de vous » (Luc 10, 9) Nous allons illustrer cet avènement par trois aspects de l’oeuvre du Christ : les miracles, sa manière d’être et sa résurrection. ° Parlons d’abord des miracles Les miracles qui accompagnent l’annonce du Royaume en sont les signes avant coureurs qui nous dévoilent une chose fondamentale : la réalité matérielle que nous connaissons (ou croyons connaître) elle-même, est transformée par l’avènement du Royaume où « les pierres elles mêmes crieront » (Luc 19, 40). A notre époque, les miracles ont mauvaise presse et certains chrétiens sont gênés d’en parler (et aussi d’y croire). Mal à l’aise avec ce qui paraît relever d’une pensée magique, ils préfèrent affirmer, avec les penseurs matérialistes, que les récits de miracles sont purement symboliques, de peur de choquer leurs interlocuteurs. D’où l’expression péjorative « croire aux miracles » (c'est-à-dire faire preuve de naïveté, d’ignorance…). Or, les miracles sont des théophanies de l’Esprit
Saint dans la matière. S’ils sont effectivement contraires
aux « lois de la nature » (déchue), ils sont
des manifestations éclatantes de la puissance du Christ et de l’Esprit,
de la venue du Royaume dans notre matière terrestre et corporelle. Ne sommes-nous pas frappés par les paroles dures que prononce le Christ (et qui sont rapportées par les trois évangiles synoptiques) sur l’incrédulité qui fait obstacle aux miracles (et donc à la manifestation tangible du Royaume) lorsqu’il constate que les habitants de Nazareth, de Chorazim, de Bethsaïda et de Caharnaüm ne croient pas en Lui (Mc 6, 1 à 6 ; Mat. 13, 54 à 56 ; Mat. 11, 20 à 24 et Luc 10, 12 à 16) ? Il ne vous échappera pas que la première
attitude est l’expression d’une résistance fondamentale
(et très répandue): le refus d’accepter l’Incarnation
de Dieu dans notre matière humaine, en d’autres termes, la
puissance de l’Esprit sur la matière. Nous trouvons encore deux autres illustrations du lien
entre les signes, prodiges et miracles et la venue du Royaume dans deux
épisodes rapportés par les évangélistes : « Allez rapporter à Jean ce que vous entendez et ce que vous voyez : les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent et la bonne nouvelle est annoncée aux pauvres » (Mat 11, 4-5) Ce sont les signes de l’avènement du Royaume annoncés par le prophète Isaïe (35,5).
D’abord, au lieu d’affirmer la gloire qui
est la sienne, la manière d’être du Verbe incarné
est fondamentalement marquée par la kénose, l’abaissement
volontaire, l’humilité. « Lui qui existant comme Dieu …s’est dépouillé lui-même ; prenant la forme d’esclave…Il s’est humilié lui-même se rendant obéissant jusqu’à la mort et la mort sur une croix. C’est pourquoi, Dieu L’a souverainement élevé et Lui a donné le Nom qui est au-dessus de tous les noms, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur la terre et dans les enfers. Et que toute langue confesse que le Christ est Seigneur à la gloire du Père. » (Ph. 2, 6 à 10) ° Le comportement de Jésus avec tous ceux qu’il
rencontre est totalement contraire à notre façon habituelle
de vivre et de penser. Ce comportement, qui laisse pantois ses contemporains, est celui que Jésus invite à adopter pour hériter du Royaume… Le Royaume appartient aux petits enfants (Mat 19, 14 et
16, 21 et Marc 10, 14 + 17,21) Par son humilité, sa compassion sans limite, son
amour du plus faible, le Christ témoigne de sa dignité royale. Et, ajoute, l’évangéliste Matthieu, rappelant la prophétie du prophète Zacharie (9, 9): « Dites à la fille de Sion : voici,
ton Roi vient à toi, plein de douceur et monté sur un âne,
sur un ânon, le petit d’une ânesse » (Mat.
21, 5) ° Sa résurrection Le triomphe et le couronnement du Roi deviennent manifestes par Sa résurrection d’entre les morts. La résurrection du Christ est l’annonce de
notre propre résurrection. « Mort où est ton aiguillon ? Enfer,
où est ta victoire ? Christ est ressuscité et tu as
été terrassé ! Christ est ressuscité
et les démons sont tombés… Dans cette perspective eschatologique, le Règne
et la royauté de Dieu éclateront au grand jour au moment
de la résurrection des morts. La porte du Royaume est largement et définitivement ouverte par la résurrection du Christ, qui est tellement aveuglante, tellement insupportable pour le monde tombé au pouvoir du Malin, qu’elle est rejetée, moquée, tournée en dérision, comme le Christ Lui-même l’a été (« Salut Roi des Juifs » ! disaient les soldats pendant sa passion (Mat 27, 29. « Pardonne leur, Père, car ils ne savent pas ce qu’ils font » priait Jésus au milieu de ses souffrances sur la croix (Luc 23, 34 ).
Il est important de ne pas oublier l’existence de
ces deux royaumes. « L’enfer a saisi un corps et il s’est trouvé devant Dieu ; il a saisi la terre et il a rencontré le ciel…Christ est ressuscité et les démons sont tombés ». (homélie précitée de St Jean Chysostome) Résumons tout cela par une belle citation du patriarche Shenouda d’Alexandrie : « Dès les origines, il était
prévu que le Créateur règne sur sa création,
en soit le Roi et le possesseur. Hélas, le péché,
c'est-à-dire la rupture avec Dieu, fit son entrée dans le
monde (Rom. 5,12) et fit des coeurs et des volontés des hommes
son royaume. Et par le péché entra la mort. La mort a régné,
dit St Paul (Rom.5, 14-17) et toute l’humanité fut sous sa
dépendance. Mais le péché, c’est le règne
du Démon, « prince de ce monde » (Jean 14,30).
Dès lors, c’est lui qui domine tout…La Lumière
disparut et les ténèbres régnèrent car « les
hommes ont préféré les ténèbres à
la lumière » (Jean 3, 19). Nos yeux viennent de contempler le resplendissement de l’humilité et de la gloire de Notre Seigneur Jésus Christ dont la kénose, la façon de vivre, les guérisons et la résurrection nous ouvrent déjà les portes du Royaume. Mais qu’advient-il de nous dans tout cela ?
Jésus, nous l’avons vu, non seulement évoque la réalité du Royaume en paroles et en actes, mais il nous décrit les conditions pour y accéder ° Pour accéder au Royaume, il faut d’abord
devenir les disciples de Jésus, se convertir, changer de vie…accueillir
sa Parole (Mat 13, 23 et Jean 8, 31). « repentez-vous » « Convertissez-vous » (littéralement « metanoïete » = changez votre esprit), car le Royaume de Dieu est proche (Mat 3, 2 et 4, 17 ; Marc 1, 14-15) La recherche du Royaume n’est pas une occupation pieuse parmi d’autres qui seraient tout aussi importantes. Elle est première, vitale, fondamentale pour le disciple du Christ. Elle fait passer tout le reste au second plan : « Cherchez d’abord le Royaume et sa justice (sa justesse ?) et le reste vous sera donné par surcroît » (Luc 12, 31 et Mat 6, 32-33) Nous y reviendrons car cette injonction du Christ ne peut être prise à la légère. Elle nous interpelle dans notre vie concrète. ° Jésus insiste aussi sur le fait que le Royaume,
non seulement est déjà là mais que ses portes sont
ouvertes : « Un cœur de pauvre, c’est un cœur qui est disposé à recevoir quelque chose, un cœur qui est en manque. Au contraire de celui qui est comblé et n’attend plus rien. Au contraire du coeur endurci qui se méfie de tout » (Joël Sprung – Notre Père, cet inconnu, p.41) « « Pauvres en esprit »…la pauvreté qui ouvre le Royaume des cieux est celle par laquelle je sais que rien n’est véritablement mien, alors tout ce que j’ai, je l’ai reçu par un don d’amour, d’amour divin ou d’amour humain et cela rend les choses tout à fait différentes. Si nous comprenons que nous n’avons pas d’être en nous-mêmes et que pourtant nous existons, nous pouvons dire qu’il y a là un acte incessant d’amour divin….Seuls appartiennent au Royaume de Dieu ceux qui reçoivent toutes choses du roi dans une relation d’amour mutuel et qui refusent d’être riches parce qu’être riche signifie la dépossession de l’amour par la possession des choses. Au moment où nous découvrons Dieu au cœur de la situation, et que toutes choses sont à Dieu et de Dieu, nous franchissons le seuil de ce royaume divin et nous entrons dans la liberté » (Antoine Bloom – Prière Vivante p. 28-29) Au contraire… « Qu’il est difficile à ceux qui ont des richesses d’entrer dans le Royaume des cieux ! » (Luc 18, 24) (Mat. 23, 3). - Aussi, Jésus maudit-Il les pharisiens qui ferment les portes du Royaume pour empêcher les autres d’y entrer (Mat 23, 13) - Regarder en arrière empêche d’entrer dans le Royaume (Luc 9, 62) Le Christ le souligne en rappelant (Luc 19, 32)le sort
de la femme de Lot qui s’est retournée vers Sodome et a été
transformée en colonne de sel, c'est-à-dire a perdu sa vitalité,
sa fécondité, devenant stérile et pétrifiée.
(Gen. 19, 26). * Les paraboles de croissance déjà citées
nous montrent à la fois que le Royaume est déjà là
et cependant encore en construction, en train d’advenir et que son
accès n’est pas comparable au simple passage d’un lieu
à un autre… La tradition insiste sur le caractère positif du temps qui permet l’éclosion et la croissance de notre être intérieur, de l’Eglise et du Royaume. « Le temps constitue l’espace intermédiaire,
l’entre-deux qui nous rend capables de nous mouvoir vers Dieu sans
contrainte et par notre choix volontaire…Vois je me tiens à
la porte et je frappe (Ap 3, 20) Cette croissance, ce développement a lieu à la fois sur le plan personnel et sur le plan collectif. * Sur le plan personnel, L’exigence de changement de vie est radicale. Il
ne s’agit pas d’un conseil à suivre ou à négliger.
Non, le Christ est tout à fait clair à ce propos. Il compare
d’ailleurs ce changement de notre être, de notre manière
de vivre, à une seconde naissance sans laquelle on ne peut connaître
le Royaume. « En vérité, en vérité, je te le dis : si un homme ne naît de nouveau, il ne peut voir le Royaume de Dieu…Si un homme ne naît d’ eau et d’Esprit, il ne peut entrer dans le Royaume de Dieu. » (Jean 3, 3 et 5) A nouveau il s’agit ici de se convertir, de se laisser
transformer en profondeur par l’inspiration de l’Eprit Saint
qui ouvre en nous un nouvel espace, celui de la liberté glorieuse
des enfants de Dieu. C’est un éveil, une libération
de l’emprise de notre ego rétréci par le péché. C’est à la liberté que vous avez
été appelés (Ga 5, 13) Jean-Yves Leloup écrit un beau commentaire à
propos de ce changement d’esprit radical auquel le Christ nous invite :
Cette conversion se traduit par l’accueil nécessaire
de la Parole du Verbe * Mais cette manière d’être et de vivre n’est pas une sinécure, ni une attitude confortable : les tribulations, les épreuves attendent le disciple car le monde résiste à la Parole divine. « S’ils m’ont persécuté,
ils vous persécuteront aussi …à cause de mon Nom »
(Mat 5, 11, et Jean 15, 20-21 * Nous l’avons déjà évoqué :
le Christ affirme que le Royaume des cieux est d’abord intérieur à
nous: Les portes du Royaume ne se trouvent pas en dehors de nous. Elles sont en nous-mêmes : dans notre cœur, dans notre esprit lorsqu’ils sont ouverts à l’action de la grâce. Lorsque nous implorons la Divine Trinité de venir nous inspirer, nous guider, nous conduire pas à pas sur notre chemin… qui est le Christ. « Mon enfant, donne-moi ton cœur et tout le reste, J e te le donnerai par surcroît, car c’est dans le coeur humain qu’est le Royaume de Dieu » (St Séraphim de Sarov – Enytretien avec Motovilov) Il est fondamental de prendre conscience que c’est
notre état intérieur, notre disponibilité, notre
ouverture, notre réceptivité à la grâce qui
permet au Royaume de la Présence divine de prendre racine en nous
et de rayonner ensuite sur le monde. * Pour que tout cela ne reste pas théorique mais
s’incarne dans ma vie, je dois me poser une question vitale : C’est une question fondamentale qui mérite vraiment un examen attentif, une prise de conscience sans concession. Si je suis lucide (et je peux demander le discernement à l’Esprit Saint ou consulter un père ou une mère spirituel(le)), je m’apercevrai que ce qui, la plupart du temps régit mes comportements, détermine mes choix, gouverne ma vie ce n’est pas vraiment la recherche du Royaume, mais : mes passions, mon passé, mes projets … Et le pis c’est que tout cela se fait à notre insu. Nous y reviendrons dans le chapitre consacré à « Que Ta volonté soit faite ». St Paul l’exprime bien quand il écrit qu’il
fait le mal qu’il ne veut pas et ne fait pas le bien qu’il
voudrait car ce n’est pas l’Esprit qui le conduit mais la
« loi du péché » inscrite dans sa
chair. (Rom 7, 15 à 24) « Le Royaume dont nous parlons est un royaume d’amour, donc, apparemment, il devrait être bien agréable d’y entrer ; or, ce n’est pas agréable parce que l’amour a un côté tragique : il signifie la mort de chacun de nous ; notre être égoïste, égocentrique, doit périr totalement et non pas comme une fleur qui se fane, mais d’une mort cruelle, la mort de la croix » (Antoine Bloom p 45) « Que celui qui veut être mon disciple prenne sa croix et me suive » Mat 10, 24, Luc 6, 40, Jean 13, 16…) * Une belle parabole du Royaume nous met en garde contre
l’insouciance et l’inconscience de ceux qui croient que le
Royaume de Dieu leur « tombera tout cuit dans la bouche ». Ce travail intérieur de métamorphose peut être exprimé autrement par la théologie dynamique de l’image de Dieu en l’être humain, appelé à passer de l’image à la ressemblance. « l’Image suppose le mouvement, le progrès,
une exploration continuelle, un voyage sans fin. Être une personne
humaine, ce n’est pas seulement partager, c’est aussi grandir.
Dans le Royaume, il n’y a que ceux qui désirent, cherchent et réalisent le « Règne », donc les saints…Dieu règne sur tout coeur qui croit et qui aime, sur toute pensée, sur tous les sens et sur la vie entière. Mais ce n’est possible que si l’homme l’accepte librement et en décide ainsi. Le Royaume des cieux appartient aux violents dit Jésus, donc à ceux qui le cherchent avec acharnement …A nous de faire en sorte que le « Règne arrive » et que le Royaume se construise…Dès que l’homme décide, engage donc sa liberté, la grâce se précipite à son secours. Nous sommes ouvriers avec Dieu dit St Paul (1 Co 3, 9)» (Amba Shenouda)
Certains vont peut être hausser les sourcils d’un air sceptique quand ils entendront parler de l’Eglise dans ce contexte du Royaume, partageant cette terrible réflexion d’Alfred Loisy : « On attendait le Royaume et c’est l’Eglise qui est venue ! ». Si l’Eglise a parfois, ou même souvent donné l’image d’un bien piètre royaume, en butte aux querelles de clochers, tel un triste théâtre des passions humaines (voir les citations d’Evdokimov ci-après), on ne peut oublier ce qu’est réellement l’Eglise dans sa profondeur et sa vocation. Elle est un lieu de métamorphose de l’être
humain si elle agit sous l’action de l’Esprit Saint, ferment
incréé dans la pâte de notre humanité créée. « L’Ekklésia, l’Eglise, ne relève pas d’abord et fondamentalement de la sociologie. L’institution n’est que la trace empirique du « mystère ». L’Eglise est avant tout puissance de résurrection, sacrement du Ressuscité qui nous communique sa résurrection….Dans sa profondeur, l’Eglise n’est rien d’autre que le monde en voie de transfiguration ». (Olivier Clément – Sources p.87) Mais il faut que l’Eglise ait conscience de cette vocation profonde, unique, royale pour être cette « Eglise mystère en marche… fiancée qui attend son Roi » comme l’écrit Paul Evdokimov - L’amour fou de Dieu, p. 164) Le plus souvent, les chrétiens n’ont plus conscience de ce qui se joue dans la profondeur de la vie ecclésiale et ressentent leur participation aux offices, aux sacrements comme une aimable habitude, une tradition respectable…sans se rendre compte que le feu de la vie divine leur est communiqué et qu’il s’agit de ce feu que Jésus appelait de ses vœux avec impatience « Je suis venu apporter le feu sur la terre et combien j’ai hâte qu’il soit allumé » (Luc 12, 49) Ce Feu, c’est la grâce de l’Esprit Saint, ce sont les énergies incréées que les sacrements nous donnent de manière gratuite et totale. * L’avènement du Royaume par l’action de l’Esprit Saint Dans certaines versions anciennes de l’évangile
de St Luc, le mot Royaume est remplacé par le mot « Esprit
Saint » Cela fait dire à certains pères, et à Mgr Jean de St Denis à leur suite, que la venue du Royaume est intimement liée à celle de l’Esprit Saint en nous « En fait, si l’on considère profondément le Royaume de Dieu, qu’est-ce sinon l’Esprit Saint ?...chercher avant tout le Royaume des cieux…c’est la recherche de l’Esprit Saint dans la vie, en nous car dit le Christ, le Royaume des cieux est en vous et parmi vous, nullement en tant qu’organisation ou attitude sociale, mais comme souffle de vie dans la société et en nous. » (Technique de la prière) N’oublions jamais que nous ne sommes jamais seuls
dans notre quête du Royaume. « C’est par l’action invisible de l’Esprit saint dans les âmes que le Royaume de Dieu s’établit. Le Royaume de Dieu est un état d’âme. Il consiste à faire du Christ le Seigneur de notre vie…Quiconque a sincèrement choisi Jésus comme son Seigneur et son Roi aimera les autres comme soi-même ; par suite, il luttera contre toute injustice, toute souffrance, toute forme de mal. Il agira pour que par son action la société humaine devienne plus fraternelle et plus juste…Le Royaume de Dieu s’accomplit (ou se détruit) par chacune de nos propres actions » (Un moine de l’Eglise d’Orient – Notre Père) Cette pensée rejoint la Parole du Christ :
« ce n’est pas ceux qui me disent « Seigneur
Seigneur ! » qui hériteront du Royaume mais ceux
qui font la volonté du Père, (Mat 7, 21), ceux qui pratiquent
la justice, nourrissent l’orphelin et la veuve…… « Prions que le Royaume arrive comme nous le construirons afin qu’il arrive…la prière est efficace si l’homme va à sa rencontre. C’est une des formes de la synergie. » (Technique de la prière) Mais, ajoute Mgr Jean, le Royaume ne sera pas parmi nous
si nous agissons par contrainte morale ou autre, par culpabilité,
par souci de perfection , de pureté. « Nous pouvons accomplir les commandements
divins et pourtant demeurer hors du Royaume. Nous pouvons donner notre
vie pour notre prochain, mourir, devenir pauvre pour lui, supporter les
épreuves…et ne point posséder le Royaume en nous,
ni le répandre autour de nous…Nous pouvons exécuter
les commandements parce que nous respectons le Christ et lui obéissons,
en esprit de contrainte : je donne mon dernier sou à un indigent
parce que le Christ le veut…L’acte est louable…mais
par un effort réalisé au nom du Christ. * Avons-nous encore conscience de ce don inouï qui
devrait nous faire pleurer de joie et de reconnaissance ? « Dans l’église, par les sacrements, notre nature entre en communion avec la nature divine dans l’Hypostase du Fils, Chef du corps mystique. Notre humanité devient consubstantielle à l’humanité déifiée, unie à la Personne du Christ » (V. Lossky p178) Ecoutons ce que nous dit un homme qui vit pour le Christ, qui désire de tout son être, ne vivre que pour Lui et qui a pleinement conscience du don merveilleux qu’Il nous fait en nous offrant son Corps et son Sang et de la transformation de tout son être que ce sacrement opère : « Tu m’as accordé, Seigneur, que ce temple corruptible –ma chair humaine –s’unisse à Ta Sainte chair, que mon sang se mêle au tien et désormais, je suis on membre transparent et translucide…je suis ravi hors de moi-même et je me vois tel – ô merveille – tel que je suis devenu. A la fois me craignant et honteux de moi, je Te révère et Te crains, et je ne sais où abriter, à quelle fin employer ces membres nouveaux, redoutables et divinisés. » (St Syméon le Nouveau théologien cité par Lossky p. 178) Hélas, le plus souvent on constate que la distraction, le poids des habitudes, la tiédeur de notre foi, le désintérêt, si ce n’est la gêne, des chrétiens pour le feu qui nous confié a remplacé l’enthousiasme et le courage des apôtres et des premiers chrétiens. La mollesse a supplanté la « violence » de ceux qui s’emparent du Royaume par la force, non pour eux-mêmes, mais pour que le désert aride soit transformé en champ de blé produisant du bon grain, l’un cent, l’autre mille. Trop souvent, le Royaume n’est plus annoncé,
il n’est plus vécu, il n’est même plus désiré…
Après le temps du témoignage, de la transformation personnelle et de l’Eglise terrestre, le Royaume sera manifesté dans sa plénitude à la fin des temps lors du retour du Christ en gloire. A un moment donné, lorsque l’Eglise parviendra à la plénitude de sa croissance déterminée par la volonté de Dieu, le monde extérieur mourra, ayant consommé ses énergies vitales ; quant à l’Eglise, elle apparaîtra dans sa gloire éternelle, comme le Royaume de Dieu. » (V. Lossky Théologie mystique p. 175) Jésus en parle comme d’un festin de noces et un banquet eschatologique. L’apocalypse reprend et développe ce thème à force d’images frappantes. Nous ne développerons pas ici cet aspect pourtant si important, parce qu’il mérite à lui seul, un exposé et une contemplation approfondies.
Paul Evdokimov souligne magnifiquement cette force révolutionnaire du Règne et du Royaume de Dieu : « Le germe explosif de l’Evangile révolutionne,
renverse tout, non pas les structures du monde, mais les structures de
l’esprit humain… Et Jean-Yves Leloup souligne avec justesse la radicalité de cette métamorphose du Royaume qui implique que tous les êtres soient pris en charge, aidés, soutenus, éveillés, aimés « Tant qu’un seul être souffre, tant qu’un seul brin d’herbe n’est pas éveillé à la conscience d’être, le Royaume n’est pas arrivé : « il vient » et c’est dans ce très haut désir que nous replace Yeshoua en nous demandant de dire : « Abba, que ton Nom soit sanctifié, que ton Règne vienne, que Ton Esprit soit en tout et en tous » (op. cit. p.115)
« Le limon reçoit la dignité royale …se transforme en substance du Roi » écrit St Nicolas Cabasilas « O homme, prends garde à ce que tu es ! Considère ta dignité royale » s’écrie St Grégoire de Nysse (cité par Evdokimov p 67) « Nous ne devons jamais perdre de vue cette liberté royale qui est notre droit de naissance en tant que personne à l’image de Dieu. Une des questions posées par les rabbins juifs était celle-ci : quelle est la pire chose que puisse accomplir le Mauvais ? La réponse est : « Faire oublier à quelqu’un qu’il est le fils d’un Roi ». (Martin Buber cité par Kallistos Ware – l’Ile au-delà du monde p. 28) Il est question de « perdre » et
de « retrouver » dans les textes qui précèdent
car cette dignité royale, que nous portons tous à l’intérieur
de notre être, nous n’en avons plus conscience. Cette capacité de dépassement qui le « décolle » du monde et le fait responsable de lui donne à l’homme une grandeur royale. Plus exactement celle d’un roi-prêtre, car la maîtrise est inséparable de l’offrande. » (Olivier Clément – Sources p. 74) N’oublions pas que le Christ nous apprend que le Père veut nous rendre héritiers du Royaume, comme ses propres enfants : « Vous les bénis de mon Père, recevez le Royaume en héritage » (Mat. 25, 34) Et nous chantons dans la liturgie : « Il a fait de nous des rois et des prêtres » Mais ce don extraordinaire est intimement lié à
l’offrande de nos propres personnes, le don de nos propres vies
dans un échange d’amour réciproque avec la divine
Trinité. « Quand j’appelle Dieu « Seigneur », je lui demande d’exercer sur ma vie une seigneurie…je veux entrer avec Lui dans une relation de dépendance absolue et inconditionnelle. Rien n’y échappe ! Je me reçois de Lui à chaque moment, comme l’air que je respire et je ne ferai rien par moi-même ou sous d’autres impulsions sans Le trahir. Il est Dieu, Source de ma vie, et ma vie, c’est son Royaume où, comme Seigneur, Il a tous les droits. Tout en moi est de Lui, par Lui, en Lui. » (dialogue avec le patriarche Shenouda) Est-il nécessaire de préciser que Dieu ne règne pas comme un tyran qui opprime, mais comme un Epoux qui aime, un Sauveur qui libère, un Souffle qui féconde ?
PÈRE très bon, Que ton Règne vienne ! Que ton Royaume advienne parmi nous sur la terre comme au ciel. Que Ton Esprit Saint vienne régner dans nos cœurs
unifiés Qu’il ouvre notre esprit à sa grâce
déifiante. Tu as fait de nous des rois et des prêtres, comme
tes héritiers, Fais que notre royauté et ce royaume que Tu nous
donnes en partage Fais nous reconnaître ton Fils comme notre Roi, Donne à l’Eglise qui est son Corps son aspect
royal, Père très bon, Roi du ciel et de la terre,
* Nous voici au cœur de la prière et au centre de notre vie spirituelle Nous pouvons affirmer sans crainte de nous tromper que
toute notre vie chrétienne (et notre vie tout court) gravite autour
de cet astre de la volonté divine comme la terre autour du soleil. « Que Ta volonté soit faite est vraiment le concentré de toute la vie spirituelle. » (Patriarche Shenouda) Cette seule phrase est le condensé, la « susbstantifique moelle » du Notre Père « Pour certains rabbins mais aussi pour beaucoup de théologiens…c’est cette demande qui est au cœur de la prière et qui inclut toutes les autres…Que ta volonté soit faite » est l’abrégé du Notre Père et introduit en nous les dispositions justes et filiales » (Jean Yves Leloup p 118) Nous allons contempler cette demande centrale. Combien de fois n’ai-je pas formulé cette
demande de manière distraite, mécanique, sans y prêter
la moindre attention ? Pourquoi une telle distraction et un tel manque de conviction dans la prière ? Probablement par peur …que Sa volonté se
réalise vraiment dans sa vie et ne vienne bousculer mon confort
et ma sécurité. « Que signifient ces paroles : « que
Ta volonté soit faite » sinon la reconnaissance existentielle…que
Dieu est plus intelligent, meilleur que nous ! Vous me répondrez :
c’est évident. Non, pas autant que vous le pensez…dans
le psychisme humain, elle n’est nullement évidente. Faisons
une expérience curieuse, loyale : remettons-nous à
la volonté divine ; aussitôt une crainte surgit, nous
pensons, si la main de Dieu était lourde ? S’Il nous
demandait quelque chose au dessus de nos forces, et si , et si… ? Je propose, aujourd’hui, en cette journée de silence et de prière, qui ouvre la porte du carême, de nous arrêter sur cette phrase essentielle et de la laisser descendre et s’enraciner en nous, pour qu’elle devienne une graine qui germe dans notre terre intérieure et y produise des fruits : Que Ta volonté soit faite ! Ce que certains ont traduit avec bonheur : Que Ta volonté soit fête ! « Réjouissez-vous toujours dans le Seigneur ! Je le répète réjouissez-vous. Que votre bienveillance soit connue de tous les hommes. Le Seigneur est proche » s’écrie St Paul dans sa lettre aux Philippiens (4, 4-5) Le Père veut faire de nous plus que des amis, ses
enfants qui, à l’image du Fils unique, nouent avec Lui une
relation filiale, une synergie, une symbiose. « Qu’est-ce que l’homme pour que
tu te souviennes de lui et les fils de l’homme pour que tu le visites ? Si nous nous croyons faibles, perdus et désorientés, sans perspective stimulante, comment pourrions-nous nous connecter à l’enthousiasme qui nous met en route et soutient notre marche vers la vie divine ? « Comment accomplir la volonté de Dieu en se voyant petit ?...la première attitude consistera à être idéaliste, à désirer quelque chose de grand. Enfants d’un Père céleste, nous ne pouvons être des vers attachés au sol….élévation de l’âme, grandeur, idéalisme, conscience de la filiation divine…voir grand la vie ! » (Mgr Jean – Technique de la prière)
Quelle est la volonté de Dieu ? Que la volonté du Père (du Fils et de l’Esprit) s’accomplisse en moi, en nous, sur la terre entière comme au ciel ! Cela suscite beaucoup de questions : * Prenons pour guides les évangiles et les écrits de St Paul qui nous enseignent ce que Dieu souhaite pour nous. Comme une mère ou un père aimant pour ses enfants bien-aimés. - La volonté du Père c’est qu’aucun
de ces petits ne se perde (Mat 18, 14) Qu’y a-t-il de menaçant dans ces phrases ? St Silouane et le père Sophrony nous le rappellent : « Dieu cherche l’homme pour lui donner non seulement la vie, mais bien plus encore : une surabondance de vie. »(Père Sophrony- Starets Silouane p. 31) « Si les hommes connaissaient l’amour du Seigneur pour nous, ils s’abandonneraient entièrement à Sa sainte volonté » (St Silouane) « L’âme qui a connu en plénitude le Seigneur et qui a trouvé sa joie en Lui ne désire plus rien et ne s’attache à rien sur la terre. Si on lui offrait un royaume, elle n’en voudrait pas car l’amour du Christ est si doux et rend l’âme si heureuse que même une vie de prince ne pourrait la satisfaire…Ainsi l’âme reconnait son Maître et L’aime et la douceur de son amour est comme du feu. » (St Silouane) « Le Seigneur nous aime tant qu’Il veut
que tous les hommes soient sauvés et soient éternellement
avec Lui. * Etant promis à la vie éternelle en Dieu dont je suis l’Image, je porte en moi le désir profond de cette Vie en plénitude : « Etant une parcelle divine, je porte dans mon sein le désir de la vie future » écrit St Grégoire de Nazianze. L’homme pourrait-il de lui-même imaginer de
telles promesses qui paraissent insensées aux yeux de sa trop
sage raison ? Est-ce bien raisonnable ? N’est pas « trop
beau pour être vrai », comme l’écrit Luc
Ferry ? Alors, pourquoi avoir peur ? Ne sommes-nous pas semblables à des aveugles de naissance qui recouvreraient la vue mais ne supporteraient pas la lumière ? A des prisonniers aux membres gourds, libérés de leurs chaînes après des années de cachot obscur, qui seraient pris d’angoisse par la découverte de grands espaces de liberté ?
La volonté de Dieu n’est malheureusement
pas la seule qui puisse nous atteindre. Celle de Dieu, celle de l’homme … et celle du démon. Notre époque, déconnectée de la sagesse
et de l’expérience de la Tradition, oublie la volonté
divine (et ne veut surtout pas en entendre parler!), ignore la réalité
de la volonté démoniaque (« quelle pensée
primitive, cher ami ! »), mais voue un culte sans partage
à la volonté individuelle de l’homme. Or, la Tradition nous enseigne que l’homme - qu’il
le sache ou non - se trouve au confluent de deux rivières dont
les flots coulent sans cesse en lui et peuvent l’entraîner
dans des directions contraires. Cette présentation semblera sans doute simpliste et naïve, voire manichéenne aux yeux de ceux qui ne sont pas sensibles au combat spirituel auquel l’homme ne peut échapper que par ignorance, indifférence ou léthargie. Pourtant, que le cœur soit symboliquement et spirituellement
le centre névralgique de l’homme est confirmé par
de nombreux écrits de notre Tradition dans le droit fil de la Bible.
« Au centre le plus central de l’homme, les grands spirituels de l’Eglise indivise voient le « cœur ». Ce cœur…est le lieu d’une connaissance-amour où l’homme tout entier à la fois se rassemble et s’ouvre. « Cœur-esprit » ouvert à l’Esprit Saint et qui reçoit la lumière divine pour la communiquer au corps… » (Olivier Clément – Sources p. 77-78) « Le cœur, pour la tradition ascétique
de l’Orient chrétien est le centre de l’être
humain, de l’intellect et de la volonté, le point d’où
provient et vers lequel converge toute la vie spirituelle…Sans le
cœur, qui est le centre de toutes les activités, l’esprit
est impuissant. Sans l’esprit, le cœur reste aveugle, privé
de direction… « La racine des pensées, c’est le cœur. Il donne naissance à quatre rameaux : le bien et le mal, la vie et la mort » (Siracide 37, 17-18) « On croit avec le cœur », écrit St Paul aux Romains (10, 10) et aussi « Le Seigneur rendra manifeste les desseins du cœur. » (1 Cor 4, 5) Saint Exupéry n’écrit-il pas avec une profonde justesse : « On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux » (Le petit prince) ? * Mais le cœur n’est pas que le réceptacle de la grâce. Il s’y déroule un véritable combat spirituel que la Tradition évoque de manière unanime :
« Le coeur humain est le champ de bataille entre Dieu et Satan…L’homme est visité par les anges et les démons ; il vit le paradis et l’enfer au-dedans de lui… L’homme se trouve mêlé à la lutte de deux mondes…cette lutte se répercute dans la profondeur de l’esprit humain où s’engage le duel du diable et de Dieu » (P. Evdokimov – Dostoeïvsky et le problème du mal - p. 82 et 131). Ce caractère double, ambivalent du cœur humain
- de mon cœur - ouvert à toutes les influences, bonnes et
mauvaises, comme une terre neutre, prête à être ensemencée
de toutes sortes de graines, et qui peut devenir terre fertile ou désert,
est évoqué à diverses reprises dans la Bible. Nous
l’avons déjà rappelé : « C’est du dedans du cœur des hommes que sortent les desseins pervers : débauches, meurtres, adultères, cupidité, méchancetés, ruse, impudicité, envie, diffamation, orgueil, folie » (Marc 7, 21-23) Notre volonté, reflet de notre liberté (car
nous en avons une aussi, Dieu merci !), est appelée à
discerner et à choisir à chaque instant, entre ces deux
influences qui se disputent notre coeur.
Voilà un bien vaste sujet qui a fait couler beaucoup d’encre, de pleurs et de sang ! La liberté est ressentie comme un bien infiniment précieux, un élément fondamental de l’être humain créé à l’image de Dieu. On ne peut imaginer d’humanité véritable sans la liberté. « Celui qui a créé l’homme…ne peut l’avoir privé du plus beau et du plus précieux des attributs : la capacité de se déterminer soi-même, la liberté » (Grégoire de Nysse – Grande catéchèse, 5) L’évêque Kallistos Ware, cherchant à définir ce qui manifeste le plus l’image divine en l’homme, évoque la liberté. Il écrit : « Parce qu’elle est liée à
la conscience de soi…l’image divine se reflète particulièrement
dans notre capacité de libre arbitre…Dieu est libre ;
donc, en tant que personnes humaines, créées à Son
image, nous sommes également libres…cette liberté
donnée par Dieu à chaque personne humaine est un thème
majeur de l’anthropologie des Pères. « Tout le monde aspire à la liberté.
C’est l’une des recherches les plus fondamentales de l’homme…On
est prêt à mourir pour la liberté.
L’on ne peut imaginer un seul instant que Dieu crée
un être, qu’il soit de nature angélique ou humaine,
dépourvu de liberté. Qui ne puisse être doté
de cette capacité fondamentale de choisir, de se déterminer,
d’orienter sa vie et sa destinée. « L’élément personnel en
l’homme, ce qui dépend de lui et ce qui exprime directement
sa personnalité avec son caractère unique, est la liberté.
La volonté libre est l’affirmation constante et fondamentale
par excellence, qui constitue le moi. » (P. Evdokimov op cit
p.129) « La lumière ne subjugue personne de force : Dieu ne violente pas davantage celui qui refuserait de garder son art ». (AH IV, 39, 3). « La violence ne se tient pas aux côtés de Dieu. » (AH IV, 37, 1) Car, pourrait-on concevoir une vraie relation d’amour
dont la liberté serait bannie ? Dans laquelle l’on ne
pourrait faire le choix d’aimer (ou de ne pas aimer) ? L’homme
ne serait alors qu’un serviteur ou un esclave privé, comme
un objet, de la faculté de choisir de servir son maître ou
de le quitter.
La liberté est une notion bien ambigüe. La liberté extérieure liée à
l’absence de contraintes matérielles ? La première liberté désigne notre
capacité de décision et d’expression dans la vie quotidienne.
Elle est concrétisée dans « les libertés fondamentales»
consacrées par des textes juridiques (Constitutions, Charte des
droits de l’homme : liberté de circulation, de pensée,
d’expression, de presse, de culte…). Pour bien percevoir la différence entre ces deux
libertés et comprendre qu’elles peuvent être antinomiques,
il suffit de penser aux reclus, ou aux moines qui acceptent de vivre dans
une étroite petite cellule ou dans une grotte inaccessible, aux
stylites perchés sur une surface d’un m² à plusieurs
mètres du sol, ou aux prisonniers qui malgré les murs qui
les enserrent, l’absence d’espace qui leur interdit tout déplacement,
les liens matériels qui les entravent … peuvent être
souverainement libres. « Il est maintenant la quatrième heure
de la nuit. Je suis assis dans ma cellule comme dans un palais, dans la
paix et l’amour. » Et le père Sohrony : « Un petit coin dans ma cellule me suffisait pour enbrasser le monde entier dans ma prière. » (Cahier St Silouane n° 10, p. 35) On trouve aussi une illustration de cette liberté
intérieure de personnes privées de leur capacité
de mouvement chez Stendhal et chez Dostoeïvsky : « Dans cette solitude aérienne, on est
à mille lieues au-dessus des petitesses et des méchancetés »
(La Chartreuse de Parme). « Il m’est apparu que l’on peut vivre une vie sans borne même dans une prison. » Paul Edvokimov en fait ce commentaire pénétrant : « La prison rétrécit les espaces infinis du monde jusqu’au minimum des besoins humains et contribue à cette pénétration à l’intérieur de soi, dans cette profondeur où le principe inaccessible se révèle. » (op cit p. 83) Contraste saisissant entre l’enfermement extérieur et le déploiement de l’espace intérieur. On peut rapprocher de ces citations cet émouvant passage des Frères Karamazoff où l’on voit Mitia (Dimitri), le frère débauché, qui a été arrêté et va être jugé pour le meurtre de son père (qu’il n’a pas commis !), et qui, malgré sa déchéance et ses chaînes, perçoit la lumière du Christ, manifestant ainsi la profonde liberté intérieure de son esprit dilaté par l’amour: « Je suis maudit, vil et dégradé mais je baise le bas de la robe où s’enveloppe mon Dieu ; je marche sur la route diabolique, mais je suis pourtant ton fils Seigneur, et je t’aime, je ressens la joie sans laquelle le monde ne pourrait subsister. » On le voit, la liberté est une notion bien étrange, qui peut prendre de multiples formes, selon les milieux, les situations et les angles d’où on l’envisage. La liberté dont il est question aujourd’hui
est d’ordre spirituel. « Vois, je mets devant toi la vie et le bien,
la mort et le mal…Choisis la vie afin que tu vives, toi et ta postérité. »
(Deut. 30, 15 et 19) La liberté n’est pas sans risque … Hélas, nous savons que notre belle liberté
spirituelle, reçue de Dieu comme un gouvernail en chêne massif,
a été tellement malmenée par l’homme qu’elle
est le plus souvent oubliée et que, si un vent contraire se lève
et que les flots se gonflent, notre petit bateau en perdition tournoie
dans la tempête. Nous verrons que notre liberté intérieure
est bien inconfortable car elle nous met en face de responsabilités
qui nous paraissent souvent trop lourdes à porter. « On objectera peut-être : Eh, quoi ? Dieu n’eût-Il pas pu faire l’homme parfait dès le commencement ?... » Et St Irénée répond en soulignant que la liberté de l’homme fait de lui un être en devenir qui a besoin d’une pédagogie. « Dieu pouvait dès le commencement donner
la perfection à l’homme, mais l’homme était
incapable de la recevoir car il n’était qu’un petit
enfant…Il pouvait venir à nous dans son inexprimable gloire,
mais nous n’étions pas encore capables de porter la grandeur
de Sa gloire. L’Inquisiteur a une opinion très médiocre de l’homme, incapable, selon lui, de supporter le poids de la liberté et d’en faire bon usage, c'est-à-dire d’orienter par lui-même sa vie conformément au projet divin. « L’homme est plus faible et plus vil que Tu ne le pensais » dit le Grand Inquisiteur au Christ … Tu te faisais une trop haute idée des hommes…Tu as trop exigé de lui, Toi qui pourtant l’aimais plus que Toi-même ! En l’estimant moins, Tu lui aurais imposé un fardeau plus léger… » L’Inquisiteur voudrait supprimer purement et simplement
cette liberté qu’il juge insensée et qu’il reproche
amèrement au Christ d’avoir encore augmentée : Son projet est terre à terre. « Qu’avons-nous besoin de l’Au-delà ?...Nous
sommes plus humains que Toi. Nous aimons la terre…J’aime l’humanité
plus que Toi » Voilà un débat qui mérite réflexion. Car la liberté exige un véritable effort
pour être mise en œuvre, un choix conscient, un discernement,
un vrai travail sur soi… On n’a pas tort de s’inquiéter de l’usage que peut faire l’être humain de sa liberté lorsque l’on voit que l’histoire de l’humanité baigne dans le sang, la violence, le mensonge….bref, dans le tourbillon des passions humaines (ou plutôt inhumaines !). Nous trouvons dès les premières pages de la Bible le récit symbolique - et inépuisable - de ce détournement du don précieux de la liberté humaine dans le troisième chapitre de la Genèse. Je ne m’attarderai pas à un long commentaire de ce drame bien connu où l’on voit l’homme et la femme placés par la Créateur dans un Jardin où se trouvent deux arbres offerts à leur contemplation : l’arbre de Vie et l’arbre de la Connaissance du bien et du mal (Gen 2, 9). C’est le second qui nous intéresse plus spécialement
aujourd’hui, car c’est autour de lui que va se jouer le drame
de la liberté humaine. L’homme a donc bien grandi en quelques versets : se nourrissant inconsciemment de l’Arbre de Vie, il est invité à devenir conscient et responsable en évitant les fruits de l’Arbre de la Connaissance. Et nous voyons rapidement entrer en scène celui qui va se faire un plaisir d’égarer l’homme dans un choix mortifère en le détournant de Dieu : le tentateur, le père du mensonge, le serpent (le plus rusé des animaux dit le récit - Gen 3, 1). Nous voyons donc, dès les premiers chapitres de la Bible, que dans le cœur de l’homme, se joue un combat fondamental, déjà mentionné, entre Dieu et Satan. Et aussi que l’homme n’est sous l’emprise
ni de l’Un, ni de l’autre. Ni Dieu ni le diable ne peuvent
imposer leur volonté à l’être humain. L’homme a la liberté de se détourner de Dieu ... et il ne s’en prive pas ! L’homme a la liberté d’écouter Dieu, de lui faire confiance (littéralement d’avoir foi en Lui) en vue de partager Sa vie…ou de décider de devenir dieu sans Dieu. De s’auto-déifier. C’est bien ce que lui suggère le démon
dans le récit de la Genèse : Le mot « comme » est important.
Il ne s’agit plus d’être déifié par l’amour
de Dieu mais de singer Dieu, d’être « comme »
Lui…sans Lui ! « L’amour pour Dieu a dégénéré
en concupiscence du divin qui fait dire : « vous serez
comme des dieux » (158) Ne croyons pas qu’il s’agisse là d’une
histoire ancienne, d’un récit mythique dépourvu de
sens et de portée concrète dans nos vies ; la Bible
parle de nous, dans notre réalité quotidienne. L’homme,
le plus souvent, ne souhaite pas vivre de la vie de Dieu, se tenir en
Sa Présence dans une attitude humble d’adoration, de tout
recevoir de Lui dans un élan d’amour et de reconnaissance. Nietzsche est un bon représentant de cette tendance lorsqu’il exalte la volonté humaine pour elle-même, sans autre but ni référence que sa propre puissance sans limite. « Chez Nietzsche, la volonté de puissance…
n’a plus aucun but extérieur, aucun objet, pas de finalité.
Cette volonté ne veut pas le pouvoir, pas davantage le bonheur,
le progrès ou la liberté : elle se veut elle-même,
voilà tout…C’est une force qui veut l’intensification
de la force, une volonté qui veut son propre accroissement… »
(Luc Ferry – Nietzsche – La mort de Dieu) Et nous savons que Nietzsche a profondément influencé la pensée contemporaine…
* Le drame de l’homme c’est d’avoir oublié qu’il n’est pas que corps et âme mais qu’il est aussi esprit ; et que son esprit est habité par une soif d’absolu qui ne peut être assouvie qu’en Dieu, qui seul est Absolu. L’Image de Dieu en nous trouve une de ses expressions les plus justes dans cette réalité de l’esprit qui, absolu, aspire à l’Absolu qui l’attire comme un Aimant (au deux sens du terme). « L’image de Dieu en l’homme est l’image de l’absolu qui aspire à l’Absolu…véritable Eros, orientation de l’esprit vers l’Infini…Dans l’intimité avec Dieu, cette aspiration devient réalité, c’est la ressemblance. Notre eros cherche la paix et ne la trouve qu’en l’Eros divin qui a mis en nous cette aspiration divine à chercher l’Absolu » (Evdokimov p. 129) * Oubliant l’existence de son esprit et s’éloignant de Dieu, l’homme détourne sa soif d’absolu dans l’âme, le psychisme qui se dilate à l’infini, ivre de lui-même, dans les passions multiples qui l’envahissent (côté négatif), mais aussi dans de magnifiques réalisations artistiques, scientifiques, humanistes…(côté positif). « Le drame de l’homme c’est d’ignorer son esprit…L’esprit c’est la capacité d’infini dans le cœur de l’homme ; c’est là, et là seulement, que le psychisme cesse d’être captif de lui-même » (père Alphonse et Rachel Goettmann – Guérison des maladies de l’âme p.15) Il ne s’agit évidemment pas de discréditer
l’âme, si belle et si féconde. Elle produit des œuvres
d’art sublimes. Elle est dotée d’une intelligence qui
permet à l’homme d’explorer les secrets de l’univers,
de créer des modèles mathématiques qui précèdent
les découvertes scientifiques les plus fabuleuses. De plus l’âme, qui a dévié pour
elle-même la puissance de l’esprit se nourrit d’elle-même
et des passions qui l’habitent et la conduisent à notre insu.
Nous touchons ici à la grande et lancinante question du mal. P. Evdokimov a commenté ce thème dans son analyse magistrale des romans de Dostoeïvsky, en particulier, des « Possédés » et des « Frères Karamazoff ». Il définit le mal comme la volonté de l’homme (ou de l’ange, plus exactement des démons) d’exister par soi, et pour soi, de devenir à soi-même son propre univers, son propre dieu. Ce qui est la définition même de l’orgueil. Nous y reviendrons. Sous l’influence pernicieuse de Satan – influence d’autant plus sournoise qu’elle est cachée - qui veut égarer et détruire l’homme en le détournant de Dieu, l’être humain peut en venir à oublier Dieu, à L’ignorer, et même à Le rejeter, à Le considérer comme un ennemi ou, ce qui est plus pratique encore, comme inexistant … mort ! N’est-ce pas une attitude très répandue
à notre époque depuis les « maîtres du
soupçon » (Nietzsche, Marx, Freud…)? * L’homme, après avoir oublié Dieu, ne peut que se tourner vers lui-même et devenir son propre dieu, sa propre référence, sa propre idole, comme le montre le livre déjà cité du philosophe Luc Ferry (L’Homme-Dieu). Nous le voyons bien dans l’individualisme contemporain,
lorsqu’il est poussé jusqu’au bout de sa logique. C'est-à-dire
lorsque l’individu tout-puissant (ou qui aimerait l’être)
prend la place de la « personne » (au sens théologique
du terme que l’on appelle aussi l’ « hypostase »
, éthymologiquement « qui se tient en dessous des apparences »). Voici quelques extraits significatifs de son livre « L’ère du vide » : « Aujourd’hui, c’est Narcisse qui,
aux yeux d’un nombre important de chercheurs… symbolise le
temps présent…le narcissisme désigne le surgissement
d’un profil inédit de l’individu, dans ses rapports
avec lui-même et son corps, avec autrui, le monde et le temps…un
individualisme pur, débarrassé des ultimes valeurs sociales
et morales…émancipé de tout encadrement transcendant…veiller
à sa santé, préserver sa situation matérielle,
se débarrasser de ses complexes, attendre des vacances : vivre
sans idéal, sans but transcendant est devenu possible…aujourd’hui
nous vivons pour nous-mêmes, sans nous soucier de nos traditions
et de notre postérité….le narcissisme abolit le tragique
et apparaît comme une forme d’apathie faite de sensibilisation
épidermique au monde et, simultanément, d’indifférence
profonde à son égard… Mais il est bon de rappeler que nous ne nous plaçons pas ici dans une perspective simplement éthique et humaniste. Nous sommes ici dans une approche spirituelle, ontologique de la liberté. Et dans cette optique, ce qui me semble intéressant dans ce texte, c’est qu’il met en lumière le caractère absurde et désespéré de l’individualisme qui s’empare de l’être humain qui a perdu le sens du sacré, de la relation à Dieu et à l’autre, et qui se retrouve devant un vide existentiel, une absence de valeurs transcendantes et de sens profond à la vie, une pénible solitude et une angoisse sourde auxquels est, dans le fond de lui-même (elle-même), confronté(e) celui (ou celle) qui a oublié jusqu’à l’existence de Dieu et ne sait pas que Sa Volonté est de faire de l’homme, non pas un esclave ou un serviteur, mais un ami, un partenaire avec lequel partager Sa Vie. Comme l’écrit P. Evdokimov : * Dostoeïvsky lui aussi, il y a plus d’un siècle,
mettait en scène de façon récurrente dans ses romans
des personnages égarés par leurs désirs désordonnés :
débauche, mépris, meurtre… ayant oublié la
voix divine ou faisant à Dieu un procès impitoyable. « Puisque Dieu et l’immortalité n’existent pas, il est permis à l’homme nouveau de devenir un homme-dieu, fût-il seul au monde à vivre ainsi. Il pourrait désormais, d’un cœur léger, s’affranchir des règles de la morale traditionnelle auxquelles l’homme était assujetti comme un esclave…Partout où je me trouverai, ce sera la première place …tout est permis un point c’est tout ! » (Ivan Karamazoff ) « Dans sa soif luciférienne d’absolu, l’homme moderne tend à abolir toute limite : il se pose lui-même comme seule et ultime référence et exalte la transgression. On fait de la transgression une règle pour aboutir au « tout est permis » d’Ivan Karamazov, puis au « tout est possible » de la techno-science. » Archimandrite Syméon - Cahier St Silouane précité ).
« Si Dieu est, toute la volonté lui
appartient, et en dehors de sa volonté, je ne puis rien. Chez Kirilov, cette prétendue liberté sans
limite va jusqu’au suicide. Il met fin à ses jours uniquement
pour démontrer qu’il dispose lui-même de sa vie, par
une volonté de toute puissance qui débouche sur le néant
et l’absurdité ! L’archimandrite Syméon du monastère de Maldon, successeur du père Sophrony, en fait ce commentaire avisé : « Kirilov se tue pour ravir le feu du ciel,
la divinité. C’est l’individu qui s’absolutise,
se divinise par lui-même et pour lui-même seulement. Un homme se tue pour se diviniser lui-même !
Que devient l’homme sans Dieu et sans le désir
de faire Sa volonté aimante ? « En abandonnant l’idée de l’immortalité de l’âme, les hommes sont à nouveau saisis par le sens antique de la fugacité de la vie, par le caractère relatif des idéaux et le fini du monde naturel ; un jour vient où tout se fait trop simple et trop clair : il n’y a plus rien de mystérieux, d’inaccessible, aucune fantaisie ne peut plus porter l’homme sur ses ailes. Les grandes espérances s’éteignent, les peines restent et, sur la terre devenue solitaire, l’amour lui-même devient utilitaire ; il sert à étouffer le chagrin de leurs cœurs (L’adolescent) ; or, « l’Incommensurable et l’Infini sont nécessaires à l’homme » (Les possédés), leur recherche est la force qui meut les peuples ; elle est l’aspiration à l’Absolu. Les attributs de l’esprit humain sont calculés sur l’éternité, sur l’immortalité personnelle, voilà pourquoi la conception incroyante est mêlée d’angoisse » (op cit. p. 117) Deuxième partie : Que ta volonté s’incarne dans notre vie Après avoir posé quelques bases plus théoriques,
tentons maintenant de décrire les remèdes à cette
maladie qu’est l’oubli de Dieu. * Nous allons procéder par étapes. 1- D’abord, celle de la prise de conscience de mon
état spirituel. Toutes ces questions, si essentielles pour notre vie spirituelle,
sont longuement abordées dans la Tradition ascétique de
l’Eglise, nourrie des Ecritures, de la pensée et de l’expérience
de nos pères (et mères) dans la foi. Je prendrai essentiellement pour guides :
Cette conscience est double : éveil à la Présence divine et lucidité sur mon état spirituel. Conscience de la Présence divine Si elle est éveillée, cette conscience, comme une flamme, nous tient en éveil de manière permanente. Et nous pouvons chanter avec le psalmiste : « O Dieu, mon Dieu, je Te cherche dès
l’aurore, mon âme a soif de Toi. Sans cette conscience essentielle de l’existence de Dieu, de Son amour, de Sa présence, de Sa proximité, Lui qui est plus intime à moi-même que moi-même, pourquoi se mettre en route ? La première attitude spirituelle fondamentale est
le désir de connaître Dieu. « Bienheureux celui dont le désir de Dieu est devenu semblable à la passion de l’amant pour sa bien-aimée » (St Jean Climaque – Echelle sainte 30ème degré) Celui qui désire Dieu clame : « Mon âme a soif de Dieu, du Dieu vivant » (Jean Climaque – idem) Une vie spirituelle ne peut être vécue sans
ce désir profond, cet enthousiasme fondamental , cet élan
que nous appelons « foi », confiance, adhésion,
qui alimente notre mémoire et nous révèle la vérité
de l’Amour divin. « Loin de Dieu, l’esprit de l’homme est endormi, indifférent. Mais dans l’association intime avec l’Esprit Saint, l’esprit de l’homme devient fort, ardent ; il est enflammé par l’amour divin » (Amba Shenouda) L’enthousiasme au sens premier du terme est le moteur
de la vie spirituelle. Prise de conscience ensuite de notre état spirituel. Nous sommes invités ici à ouvrir les yeux
sans complaisance sur notre état intérieur. suis-je vraiment libre ? Il ne s’agit pas ici
des grands principes (liés aux droits et libertés de l’homme),
mais de la liberté sur le plan intérieur, spirituel, Ces questions doivent être posées dans une
attitude humble de prière et d’écoute.
La réponse est : « Non, je ne le suis pas » ! Parce que je perds souvent mon chemin dans des passions
qui m’égarent, des désirs contradictoires, une dispersion
qui donne à mon être le tournis tourbillonnant d’une
d’une toupie. Comme l’écrit de manière imagée
Théodoret de Cyr, notre humanité est devenue boiteuse en
raison du péché : * Nous avons donc un besoin vital de guérison. Et où la chercher cette guérison ailleurs
qu’en Dieu ? « A partir du moment où nous nous tournons vers Dieu, résolus à suivre ses commandements, un processus de guérison totale s’engage » (P. Sophrony) * Prendre conscience de mon péché est le commencement de ce processus de guérison. « C’est la découverte la plus importante que nous puissions faire sur nous-mêmes, écrit le pasteur P . Burgat, car elle nous met dans une juste relation avec le Seigneur. C’est le début du repentir. » (Cahier St Silouane déjà cité) Beaucoup de personnes à notre époque se
hérissent lorsqu’ils entendent les mots : « péché »
« repentir » « guérison spirituelle »…
car elles n’ont plus aucune conscience de notre état de séparation
avec Dieu. * Il est donc essentiel de prendre conscience du fait
que notre volonté a été grièvement blessée
par le péché qui est un état de cécité
spirituelle. C’est St Paul qui décrit le mieux cet état déchu, que nous connaissons tous, dans ce passage célèbre de l’épitre aux Romains: « Je ne fais pas ce que je veux et je fais ce que je hais…Ce n’est pas moi qui agis mais le péché qui habite en moi…J’ai la volonté mais non le pouvoir de faire le bien. Car je ne fais pas le bien que je veux et je fais le mal que je ne veux pas. Et si je fais ce que je ne veux pas, ce n’est plus moi qui le fais mais le péché qui habite en moi…Je prends plaisir à la loi de Dieu selon l’homme intérieur, mais j’aperçois dans mes membres une autre loi qui lutte contre la loi de mon entendement et qui me rend captif de la loi du péché qui est dans mes membres. Malheureux que je suis… » (Rom. 7, 1 à 24) On ne peut mieux décrire l’état désorienté de l’homme pécheur, du « vieil homme » comme l’appelle aussi St Paul, qui est le jouet de « quelque chose » de plus puissant qui le domine et sur lequel il n’a que peu ou pas de prise. Du moins, y a-t-il chez St Paul une prise de conscience salutaire de son état d’égarement, et aussi la volonté clairement exprimée d’être guéri par «la loi de Dieu », c'est-à-dire par Sa volonté. * Pour résumer, la première étape
importante de la vie spirituelle est, selon la Tradition, de se reconnaître
pécheur et de vouloir avec force et détermination être
guéri. « Voici le temps du repentir. Je viens à
Toi. C’est la prise de conscience de notre volonté
malade, de notre liberté écornée, et cependant toujours
présente au plus profond de notre être. Surtout ne nous décourageons
pas ! Car, en réalité, peut-on prétendre
à la dignité d’homme créé à l’image
de Dieu si l’on se satisfait d’un état d’inconscience
de notre véritable vocation ? De notre vraie beauté ?
N’y a-t-il pas là un manque d’humanité au sens
profond du terme ?
Si nous sommes éveillés à ces deux
réalités essentielles de l’existence et de la présence
de Dieu et de notre état d’éloignement, alors une
décision vitale s’impose : en avant toute ! Je
m’engage avec détermination dans un travail de transformation
intérieure, de métamorphose de mon être dont toute
la Tradition nous parle abondamment. Nous savons qu’il ne s’agit pas là
d’un vœu pieux, d’un phantasme éthéré,
mais d’une décision qui engage concrètement tout notre
être. Nous pourrions résumer cette démarche en
chantant (et en faisant nôtre à chaque instant) cette magnifique
antienne de la Semaine sainte : Je vous suggère de la chanter tous les jours pour
en faire notre projet de vie et nous recentrer sur l’Essentiel. Alors, nous pourrons dire avec sincérité et non du bout des lèvres par habitude ce début de la prière de St Ephrem : « Seigneur et maître de ma vie » Est-Il vraiment le maître de ma vie ou une référence discrète, sinon obsolète, parmi tant d’autres ? * Nous avons déjà évoqué, au début de ce chapitre, en quoi consiste la volonté divine : elle n’a rien à voir avec celle d’un « maître » dur et exigeant, d’un tyran oppressant, mais elle n’a pour but que le bonheur de l’homme, sa béatitude, son épanouissement total dans l’amour trinitaire et l’amour fraternel. « Dieu nous a créés pour nous
faire participer à sa béatitude ; c’est pourquoi
tout homme est sans cesse à la recherche du bonheur… Nous ne pouvons même pas nous représenter la plénitude et la joie que nous connaîtrons quand nous serons unis à Dieu, nous laissant baigner par son amour tendre pour nous. « Abandonnons-nous à la volonté de Dieu et nous verrons alors la Providence divine et le Seigneur nous donnera même ce que nous n’attendons pas…Quand le Seigneur touche une âme, elle devient toute nouvelle…Celui qui accomplit la volonté de Dieu est content de tout, parce que la grâce du Seigneur le rend joyeux…L’âme qui a goûté la douceur de l’Amour divin est entièrement régénérée et devient toute différente… » (St Silouane) Nous devons donc chasser toute peur. * Bien sûr pareille résolution de connaître
et de faire la volonté divine ne peut être prise et encore
moins tenue dans le temps que si j’ai conscience de mon éloignement,
que la Tradition appelle « péché »
(c'est-à-dire déviation, ratage de cible). Sans conscience de ma maladie, je n’aurai pas recours au médecin.
Ayant pris conscience de mon état de séparation, de dispersion, j’ai pris la décision de me transformer, de m’abandonner à la volonté divine. Mais aussitôt, les difficultés commencent :
de nombreux obstacles se dressent en moi pour contrecarrer ma belle résolution
et la reléguer au rang d’un « vœu pieux ». Ces nombreux obstacles, la Tradition chrétienne les nomme « pensées et passions ». * Mais avant de les aborder, évoquons d’abord
un autre obstacle de taille : la peur. Et peut-être n’avons-nous pas tout à fait tort d’avoir peur … car nous allons être confrontés à la nécessité d’un combat spirituel que tous les saints, tous les pères évoquent abondamment. Par exemple le starets Silouane : « Tous ceux qui suivent Notre Seigneur Jésus
Christ sont engagés dans une guerre spirituelle. * Il serait en effet naïf de penser que la vie spirituelle
est une sinécure. Et qu’il suffit d’appeler Dieu à
l’aide et de se laisser agréablement conduire par lui, les
orteils en éventail dans le doux balancement d’un hamac douillet. Voilà un bien vaste sujet qui ne peut guère être développé ici. Je vous renvoie à ce propos notamment à la lecture du livre précité d’Alphonse et Rachel Goettmann : « La guérison des maladies de l’âme » Nous sommes tellement habitués à sauter
d’une pensée à l’autre, d’être remplis
de désirs multiples, de passer sans transition d’un état
d’âme à un autre…que nous n’y prêtons
plus aucune attention. Notre chemin spirituel commence réellement lorsque
nous devenons conscients de ce tourbillon intérieur, semblable
au vent d’automne qui fait valser les feuilles mortes « Le premier ennemi que l’homme rencontre
dans son exil après la chute c’est le tumulte des pensées… * Nous sommes aussi inconscients du travail insidieux des esprits malins qui se glissent dans nos pensées comme des voleurs pour nous dérober avec un art consommé ce que nous avons de plus précieux : notre glorieuse liberté d’enfant de Dieu. D’où l’importance du discernement des esprits auquel peut nous aider un maître expérimenté. « Le discernement des esprits est d’une importance capitale : reconnaître la nature des pensées, leur provenance, leur trajectoire, c’est un combat car il faut vigilance et attention pour dégager l’âme du bavardage incessant qui la secoue et l’égare. » ( Alphonse et Rachel Goettmann -p.61-62) « Les démons recherchent nos points
faibles, renforcent insidieusement nos attraits, nos désirs. Ils
se cachent derrière nos pensées, nos installations, nos
sécurités. C’est ainsi que nous ne discernons plus
la réalité et que nous devenons aveugles à ce qui
est vérité…. * Les pensées ne sont pas nos seuls parasites. Platon, Epicure, Lucrèce notamment avaient déjà
repéré leur caractère pernicieux. La passion, en gros, c’est une pensée tordue
et récurrente qui a pris racine en nous et nous pousse à
un comportement répétitif et nuisible sur le plan spirituel
(mais aussi sur notre âme et notre corps qu’elles peuvent
détruire à petit feu). « Nous demeurons libres face aux assauts du démon, mais si nous nous complaisons dans la pensée-image, alors nous sommes emprisonnés. C’est l’acquiescement de l’esprit accompagné de délectation à ce qui est proposé (Marc le Moine). Nous avons permis à la pensée de s’installer en nous, nous lui devenons obéissants et nous prenons plaisir à sa présence. » (58) Complaisance et acquiescement aux pensées mauvaises, délectation et enfermement. Voici des mots-clés pour comprendre ce qui distingue la passion du simple état d’âme passager. La Tradition chrétienne a repéré
et nommé les passions les plus courantes : St Ephrem le Syrien adopte une autre classification, plus simple, qui figure dans la prière que l’Eglise nous invite à dire pendant le carême : il parle de l’esprit d’oisiveté, de découragement, de domination et de parole facile. Une approche plus classique met en relief trois passions fondamentales : la soif de jouissance, de plaisir sans Dieu, le désir sans fin de possession (matérielle ou intellectuelle) et l’esprit de domination. Il est essentiel de repérer en nous la ou les passions
qui nous domine(nt) à notre insu, pour ne pas en être esclave
et pouvoir transformer l’énergie immense qu’elle(s)
contient (ennent), la retourner en force positive qui nous portera dans
notre élan vers Dieu. C’est en effet l’orgueil qui, fondamentalement,
nous leurre et nous fait penser que nous sommes importants à nos
propres yeux, que nous sommes auto-suffisants, que nous pouvons nous passer
de Dieu et d’une guidance spirituelle. Le père Alphonse et Rachel Goettmann eux aussi (comme toute la Tradition d’ailleurs) insistent sur les ravages que peut causer l’orgueil dans notre cœur. Sans paraphraser le chapitre qu’ils lui consacrent dans leur beau livre précité, j’en reprendrai seulement quelques extraits significatifs : « Au dernier barreau de l’échelle
des passions : l’orgueil, la plus folle, la plus dangereuse,
car elle conduit l’homme hors de lui-même, l’égare,
le coupe de Dieu …
« Notre volonté est comme un mur d’airain entre Dieu et nous, nous empêchant de nous approcher de Lui ou de contempler sa miséricorde. » (Abba Poemen) Enfermement, aveuglement, autosuffisance mortifère,
voilà les fruits de l’orgueil qui est la pire des passions
inspirée par Satan, lui-même un monstre d’orgueil qui
a voulu s’élever aussi haut que Dieu, mais sans Dieu. * Le seul remède contre l’orgueil, son antidote
comme l’écrit père Alphonse, c’est l’humilité. « L’humilité est le principe même
de la vie spirituelle, à l’opposé de l’orgueil
qui est le principe de l’existence mortifère »
(Alphonse et Rachel Goettmann p 212) Ecoutons à nouveau le starets Silouane parler de
cette attitude spirituelle fondamentale sans laquelle on est incapable
d’entendre la Volonté de Dieu et de la mettre en pratique
Comme nous sommes invités à retourner l’énergie de nos passions en carburants dans notre élan spirituel, nous pouvons prendre conscience que l’humilité est une force bien plus puissante que l’orgueil car elle nous ouvre les portes de la vie en Dieu. « Donne-moi un esprit humble. Car Tu donnes
à l’âme humble la force de vivre selon Ta volonté.
Tu lui révèles tous tes mystères ; Tu lui donnes
de Te connaître et de comprendre de quel amour infini Tu nous aimes. »
Le mot « obéissance », dans
le cadre d’une démarche spirituelle, est un mot et une réalité
qui choquent et écorchent les oreilles contemporaines. Je caricature à peine la réaction indignée que la lecture de ce texte peut susciter chez nombre de nos contemporains. L’obéissance spirituelle est souvent mal comprise, même chez les chrétiens, car elle évoque une autorité extérieure qui contraint, opprime, aliène. Comme on en a d’ailleurs trop souvent connu dans l’Eglise ! Pour percevoir ce qu’est réellement l’obéissance spirituelle, je ne peux mieux faire que de laisser s’exprimer Mgr Jean de St Denis à ce sujet : L’obéissance est en général
mal comprise. Philologiquement, le terme « obéir »,
en grec, en latin, en slavon, signifie « écouter ».
Il plonge sa racine dans l’écoute. L’obéissance
ouvre l’oreille intérieure. Elle est un état particulièrement
attentif non passif. Cette conception existentielle et féconde de l’obéissance correspond à cette invitation qui ponctue la Bible comme un leitmotiv : « Ecoute Israël ! » Obéir, au sens spirituel qui seul nous intéresse
ici, consiste donc à ouvrir son oreille intérieure pour
percevoir la mélodie divine, la volonté de Dieu. Cette écoute porte de multiples noms : attention, vigilance, discernement, veille, éveil… * La plupart des Occidentaux, qui ont perdu le goût
de la voix des profondeurs, pensent que Dieu ne parle pas aux hommes. Cette opinion commune est contraire à la pensée
biblique et à l’expérience de nombreux mystiques. Ce qui est certain, c’est que sa Voix est inaudible à celui ou celle qui ne développe pas son oreille intérieure, qui n’est pas attentif aux signes, aux événements, aux rencontres, aux personnes à travers lesquels Dieu nous parle sans cesse. Le Christ constate que, le plus souvent, nous n’écoutons
pas, nous n’entendons pas, nous ne comprenons pas. « Ils ont des oreilles et n’entendent pas, des yeux et ne voient pas » Il ajoute, comme un cri d’espoir : Concrètement nous pouvons entendre la voix de Dieu
en lisant la Bible et les commentaires inspirés des mystiques et
des pères de l’Eglise mais aussi, de manière plus
personnelle en lui demandant de nous parler à travers nos rencontres,
nos expériences de vie, le moindre petit événement,
de nous guider, d’ouvrir tous nos sens à Sa présence
et à sa Voix qui sans cesse nous appellent à l’éveil.
A l’image de Marie qui a perçu la voix de
l’ange et y a répondu sans hésiter. Ou du prophète
Samuel qui s’écrie après avoir entendu l’appel
de Dieu : Voilà encore une prière, courte mais intense, un cri du cœur que nous pouvons renouveler chaque jour. : « Me voici Seigneur : parle, ton serviteur t’écoute »
* Il est important de rappeler que les étapes dont
nous parlons ne sont pas nécessairement successives. La prise de conscience de la Présence de Dieu,
de notre état spirituel, des pensées et passions qui nous
habitent, de l’influence du Malin, la résolution de se mettre
en chemin, la prière adressée à Yeshoua, le Christ
Sauveur, et à l’Esprit Saint Consolateur sont inséparables
et peuvent être réitérés inlassablement, chaque
matin, à chaque heure du jour (et de la nuit pour ceux qui veillent).
Nous pouvons rappeler le rôle vital de Notre Seigneur
Jésus Christ selon deux axes, qui sont pédagogiques car,
en réalité, ce qui compte avant tout, c’est de se
jeter dans Ses bras aimants en répétant cette prière
continuelle, perle de notre Tradition : Ces deux approches sont : Développons ces deux approches : * Première approche : le Christ notre modèle de vie * Pour nous orienter dans le bon axe, voyons d’abord comment Jésus agit, prenons-Le comme modèle de nos pensées, de nos actes. Toute la vie du Christ manifeste une attitude fondamentale : le choix libre et conscient d’accomplir toujours et en tout la volonté du Père. « Je suis descendu du ciel non pour faire ma
volonté mais la volonté de Celui qui m’a envoyé. »
(Jn 6, 38) * On pourrait croire - à tort – que le Christ n’a pas de volonté propre, car Il est entièrement soumis au Père et que cela lui aurait été « facile », car, étant Une Personne divine, Il n’avait pas vraiment de volonté humaine – Il n’aurait pas eu le choix - mais seulement une volonté divine, nécessairement accordée à celle du Père (et de l’Esprit). C’est une vision fausse de la réalité
vécue par Jésus, qui a donné lieu à un débat
très animé, et même dramatique, au VIIème siècle. St Maxime le Confesseur (qui aura la langue et la main droite coupées pour avoir contredit cette pensée fausse !) s’est vigoureusement opposé à cette vision tronquée de l’humanité du Verbe. Il affirme, au contraire, que si le Christ n’est pas animé d’une volonté humaine, Il n’est pas vraiment un homme et n’est pas réellement libre. Son humanité est passive, théorique puisqu’en Lui, il n’y aurait eu place que pour la volonté divine. Il ne pouvait donc choisir mais ne pouvait que se conformer à la volonté divine. Voici une très courte citation de St Maxime qui illustre bien sa pensée: « Qu’Il ait eu selon la nature (humaine) une volonté humaine tout comme Il avait selon l’Essence (divine) une volonté divine, le Verbe incarné le montre clairement Lui- même par son refus de la mort, refus humain exprimé par Lui…Mais qu’en sens inverse cette volonté ait été entièrement divinisée, consentant à la volonté divine…cela aussi est manifeste puisqu’elle a accompli, de façon parfaite, la Volonté du Père…C’est en tant qu’homme que le Christ a dit : que Ta volonté se fasse et non la mienne ». En cela Il s’est donné Lui-même comme exemple et modèle pour nous afin que nous renoncions à notre volonté propre pour accomplir parfaitement celle de Dieu. Même si, pour cela, nous devons nous trouver face à la mort. » Plusieurs épisodes de la vie terrestre du Christ
mettent en évidence la réalité en Lui d’une
volonté humaine qui s’accorde sans cesse avec la volonté
divine. * Seconde approche : le Christ libérateur, « libère l’homme pour la liberté » Le Christ vient libérer l’homme du péché
(de son état d’égarement, de séparation, d’inconscience)
pour l’éveiller à une autre réalité
plus grande, plus plénière, plus lumineuse….en un
mot plus humaine. « Plus l’homme est uni à Dieu, plus il devient lui-même. » (Alphonse et Rachel Goettmann – La guérison des maladies de l’âme p. 254) * Partons de quelques textes de St Paul, qui a si bien parlé de cette libération apportée par le Christ. « Frères vous avez été appelés à la liberté. » (Gal 5, 13) St Paul part d’un constat : les hommes sont esclaves de leurs désirs, de leurs passions désordonnées (dont il donne d’amples descriptions très imagées dans plusieurs lettres (Gal 5, 19-21 notamment), en un mot, ils sont les jouets du Malin qui les manipule à leur insu : Les hommes « sont pris dans les pièges du diable, qui s’est emparé d’eux pour les soumettre à sa volonté » écrit-il à Timothée (2 Tm 2, 26) Ce texte fait penser à cet avertissement de St Pierre : « Veillez, car votre adversaire le diable rode
autour de vous comme un lion rugissant cherchant qui il pourra dévorer. »
(1 Pi 5, 8) Un des aspects essentiels de l’œuvre du Christ est cette délivrance des griffes de Satan « Christ a délivré du diable ceux dont la vie était vouée à la servitude » (Heb. 2, 14-15) Or, poursuit-il, le Christ vient nous « libérer pour la liberté » Gal 5,1) : « C’est pour la liberté que Christ nous a affranchis. Demeurez donc fermes et ne vous laissez pas à nouveau mettre sous le joug de la servitude. ». Il précise ailleurs que c’est du péché que nous sommes esclaves (Rom 6, 18) « Libérés du péché
et asservis à Dieu » (Rom 6, 6-7 et 16 Nous libérer de la loi du péché,
du joug du Malin. Alors nous pouvons à nouveau choisir Dieu, choisir la Vie, choisir Le Christ. Dans un élan d’amour et de confiance, avoir foi en Lui pour retrouver la liberté glorieuse des enfants de Dieu qui s’étend à toute la création, à toutes les créatures « La création attend avec un ardent désir la révélation des fils de Dieu. Car la création a été soumise à la vanité…avec l’espérance qu’elle aussi sera affranchie de la servitude de la corruption pour avoir part à la liberté de la gloire des enfants de Dieu. Nous savons que, jusqu’à ce jour, la création tout entière soupire et souffre les douleurs de l’enfantement. Et ce n’est pas elle seulement… « (Rom 8, 18-22). * La Tradition nous enseigne qu’en réalité la libération apportée par le Christ est bien plus vaste encore que de nous délivrer du joug du péché (ce qui n’est déjà pas rien !) : le Christ est venu franchir trois abîmes qui séparaient l’homme de Dieu : celui des natures distinctes divine et humaine, celui du péché et celui de la mort. Il met fin à la séparation des natures en
S’incarnant. « Par l’Incarnation Dieu devient homme
et celui-ci acquiert les qualités divines, sa nature malade unie
à celle de Dieu se transforme.
Cette libération totale donnée par Notre Seigneur Jésus - dont le nom hébreux « Yeshoua », signifie précisément « YHWH sauveur » - est réelle, objective, effective, définitive…mais elle reste à incarner dans nos vies car nous conservons cette liberté fondamentale de nous unir au Christ, d’accepter son œuvre et son amour…ou de le rejeter, de le refuser pour suivre nos propres voies sans Lui. Dieu ne peut sauver l’homme sans l’homme. Il ne peut nous imposer la moindre guérison de notre être sans notre acceptation libre, sans notre participation active. C’est d’ailleurs tout le sens des fêtes
de l’Ascension et de la Pentecôte : Le Christ quitte
visiblement ses apôtres car Il ne veut pas les contraindre à
le suivre. Or, le Christ nous laisse totalement libres de le suivre. * Le Christ, après avoir accompli son oeuvre terrestre et restauré notre entière liberté, nous quitte de manière visible pour rester invisiblement présent parmi nous. A nous d’agir maintenant, avec l’aide et la puissance de l’Esprit Saint, donateur de Vie, donateur de grâce, donateur de discernement et des charismes de l’Esprit, dans cette recherche de la volonté divine et dans ce travail spirituel d’accorder notre volonté à celle du Père. Car c’est bien d’un travail personnel et collectif
de chaque instant qu’il s’agit. Mais ce travail est aussi une nourriture vitale pour nous. Il ne s’agit donc pas d’une possibilité parmi d’autres, mais d’une attitude vitale pour nous qui sommes invités à rechercher d’abord le Royaume (et le reste nous sera donné par surcroît) (Mat 6, 33 et Luc 12, 31)!
C’est presque un pléonasme : comment
une vie spirituelle serait-elle possible sans que mon esprit soit éveillé. Si l’Esprit Saint touche mon être intérieur, je suis transformé, je deviens attentif, paisible, fécond, docile à la volonté divine qui m’apparaît comme le trésor le plus précieux : « Quand le Seigneur touche une âme, celle-ci devient toute nouvelle, mais cela n’est compréhensible que pour celui qui en a fait l’expérience. » ( St Silouane) Le travail intérieur est indispensable, par l’ascèse
(littéralement « exercice » en grec), la
pratique de la méditation, l’obéissance… Le Christ annonce à plusieurs reprises cet événement spirituel fondamental : « Le Père vous donnera un autre paraclet :
l’Esprit de Vérité. » (Jn 14 16-17) Et Jésus dit aussi que le blasphème contre
l’Esprit saint ne sera pas pardonné. (Mat 12, 31) * Lorsque je lis les écrits de St Silouane (voir textes mis en annexe pour ne pas allonger ce texte), je suis frappé par son insistance inlassable sur la nécessité d’invoquer l’Esprit Saint et de demander les dons qu’Il nous prodigue, à tous les stades de notre vie spirituelle . C’est l’Esprit Saint qui nous révèle
la Présence et l’Amour de Dieu pour nous. Notre âme ne peut connaître Dieu et son amour
sans le discernement du Saint Esprit. « L’âme, remplie de la paix du Saint Esprit rayonne cette paix et la répand sur les autres…En Dieu, l’âme est calme, elle chemine comme à travers un beau jardin…Si l’Esprit saint habite dans une âme, l’homme reconnaît en lui le Royaume de Dieu », écrit St Silouane. * Comment pourrait-on se passer de l’Esprit Saint
et penser qu’Il n’est qu’un adjuvant éventuel
de notre transformation intérieure ? Un ornement facultatif ?
Une mouche du coche ?
Bien qu’il s’agisse d’une question essentielle
(qui constitue l’aboutissement de ce chapitre) je ne m’y attarderai
pas longuement, car je crois que tout a déjà été
dit. * La première attitude fondamentale pour connaître
la volonté de Dieu dans ma vie, c’est de Lui demander avec
foi de la manifester. Une telle prise de conscience, répétée
encore et encore, va progressivement créer et alimenter en moi
cette conviction féconde que Sa volonté doit prévaloir
sur ma volonté propre parce que celle-ci, souvent, m’égare
dans la recherche de faux bonheurs, de plaisirs sans issue, de désirs
mortifères… Comment effectuer ce travail de transformation et d’ouverture
de mon être : * Une voie fructueuse, recommandée par la Tradition
unanime, c’est bien sûr aussi de suivre les commandements
du Christ. * Je peux alors vivre chaque événement,
chaque rencontre, chaque expérience quotidienne, comme la meilleure
occasion de connaître et de réaliser en moi la volonté
du Père. « et ici, et maintenant, Seigneur que puis-je
faire, que puis-je dire, que puis-je recevoir, que puis-je donner, que
puis-je être pour que Ta sainte volonté s’accomplisse
en moi ? » « Dans la simplicité du quotidien, dans l’acceptation totale de tout ce qui est et des événements qui viennent à moi, je m’unis à la volonté de Dieu et je l’épouse. Mon être s’offre à Dieu comme la bonne terre de l’Evangile…quand cette terre reçoit le grain, elle s’unit à Lui, les deux font alliance si bien que la semence se fond en elle et réciproquement, la terre vierge se fait épouse » (Patriarche Shenouda) Nous pouvons alors dire chaque jour : « Père révèle moi Ta volonté par la grâce de l’Esprit Saint que tu m’envoies au nom de ton Fils Notre Seigneur Jésus. » Ou encore, comme l’évêque Philarète de Moscou nous conseille de le faire dans sa « prière du matin » : « A chaque heure du jour révèle-moi
quelle est Ta volonté.
Les deux volontés divines et humaines entrent alors en synergie comme deux rivières qui unissent leurs eaux pour devenir fleuve. « L’homme a deux ailes pour atteindre le ciel : la liberté et avec elle la grâce » (St Maxime le Confesseur) Nous ne pouvons accomplir la volonté de Dieu qu’en
y accordant la nôtre sans réserve. « Mon désir que la volonté divine
s’accomplisse, car elle ne s’accomplira pas si je ne Lui demande. Mgr Jean emploie une image parlante ; celle des vases communicants où les deux volontés circulent, se mélangent et s’équilibrent : « L’âme, sentant qu’elle réalise la volonté divine, prie de plus en plus ardemment : les deux volontés deviennent des vases communicants, le mélange ineffable s’établit parce que nous le voulons…la volonté divine devient nôtre progressivement, et la nôtre, celle de Dieu. » (Mgr Jean- Technique de la prière) Nous portons en nous un germe qui est appelé à
grandir pour devenir un grand arbre. « La gloire de Dieu c’est l’homme vivant » (St Irénée) St Irénée et St Jean Chrysostome décrivent de manière poétique cette croissance sous les doigts de l’Artiste divin : « Ce n’est pas toi qui fais Dieu mais
Dieu qui te fait. Si donc tu es l’ouvrage de Dieu, attends patiemment
la Main de ton Artiste qui fait toutes choses en temps opportun…Présente-Lui
un cœur souple et docile et garde la forme que t’a donnée
cet artiste, ayant en toi l’Eau qui vient de Lui et sans laquelle,
en t’endurcissant, tu rejetterais l’empreinte de Ses doigts. * Pour terminer, je voudrais rappeler deux pièges à éviter : D’abord le volontarisme. Etre à l’écoute de la volonté
du Père, ce n’est pas tendre ma volonté comme un arc
et vivre crispé. Ensuite, ne pensons pas que la volonté de Dieu va se manifester dans nos vies de manière spectaculaire. Tous ne sont pas appelés, Dieu merci ! à
opérer des miracles ou à entrer dans l’arène
en chantant des cantiques. Il s’agit plutôt d’un lent travail d’affinement de notre être, de réceptivité, d’écoute, d’humilité, d’accueil patient que l’Eglise nous invite à accomplir comme le Christ, avec l’aide puissante de l’Esprit Saint , afin que se réalise en nous, comme en Son Fils bien-aimé, la volonté aimante et féconde du Père. Point n’est besoin pour cela de se perdre en paroles abondantes. Il suffit de répéter comme le conseille St Macaire : « Il suffit d’étendre les mains
et de dire : A suivre…. Je vous propose de terminer ce chapitre
par une prière qui développe cette demande si essentielle :
« Que Ta volonté soit faite sur terre comme au
ciel». Père céleste, Notre père, Abba, ANNEXE Le Saint Esprit selon St Silouane Ô Saint Esprit, demeure toujours en nous car il nous est bon d’être avec Toi. Seul un coeur humble peut accueillir le Saint Esprit et seul le Saint Esprit nous donne l’humilité Jour et nuit je demande à Dieu l’humilité du Christ. Mon esprit a soif de l’acquérir. C’est le don suprême du Saint Esprit. Lorsque l’âme est humble et que l’Esprit divin est en elle, alors l’esprit de l’homme est plongé dans la béatitude de l’amour de Dieu. Nous souffrons parce que nous n’avons pas l’humilité. Dans une âme humble vit le Saint Esprit et Il lui donne la liberté, la paix, l’amour et la félicité. Les hommes n’apprennent pas l’humilité et à cause de leur orgueil, ils ne peuvent recevoir la grâce du Saint Esprit, et ainsi, le monde entier est plongé dans la souffrance. Notre volonté est comme un mur d’airain entre Dieu et nous, nous empêchant de nous approcher de Lui ou de contempler sa miséricorde Le but de notre combat c’est de trouver l’humilité…car aux hommes, le Seigneur se fait connaître par le Saint Esprit. De toutes vos forces demandez au Seigneur l’humilité et l’amour fraternel, car en échange…le Seigneur nous donnera gratuitement la grâce du Saint Esprit….Quand nous pleurons et humilions nos âmes, la grâce divine nous garde. Le Christ nous envoie l’Esprit Il a dit : je ne vous laisserai pas orphelins et nous voyons que réellement, Il ne nous a pas abandonnés, mais qu’Il nous a donné le Saint Esprit. L’Esprit saint nous révèle Dieu et le monde invisible Aux âmes humbles, le Seigneur montre ses œuvres qui sont incompréhensibles pour notre entendement mais qui sont révélées par le Saint Esprit. Par la seule intelligence, on ne peut connaître que ce qui est terrestre, et encore partiellement, alors que la connaissance de Dieu et du monde céleste ne vient que du Saint Esprit. Au ciel et sur la terre on ne connaît Dieu que par
le Saint esprit et non par la science. Les enfants qui n’ont absolument
rien appris connaissent le Seigneur par le Saint Esprit. L’Esprit Saint nous fait communier à l’Amour de Dieu L’Esprit Saint qui est bonté et douceur attire l’âme à aimer le Seigneur L’Amour du Seigneur ne peut être connu que par le Saint Esprit Par le Saint Esprit, nous avons connu l’amour du Seigneur. Il est impossible d’expliquer combien le Seigneur nous aime. C’est seulement par le Saint Esprit que cet amour peut être connu. Et l’âme, incompréhensiblement, ressent cet Amour. Pourquoi Dieu aime-t-Il tellement l’homme ? C’est parce qu’Il est l’Amour en personne ; et cet Amour, on ne peut le connaître que par l’Esprit saint. Aucun homme ne peut connaître par lui-même l’amour divin si l’Esprit saint ne l’instruit pas.
L’âme qui n’a pas connu le Saint Esprit ne peut comprendre comment on peut aimer ses ennemis et ne l’accepte pas. Privés de la grâce divine, nous ne pouvons aimer les ennemis, mais l’Esprit Saint nous apprend à aimer ; et alors, on aura de la compassion même pour les démons.
D’une manière insaisissable, l’Esprit Saint donne la connaissance à l’âme. Dans le Saint Esprit, l’âme trouve le repos. Le Saint Esprit réjouit l’âme et la remplit d’allégresse sur terre. L’Esprit saint est amour et douceur de l’âme,
de l’intelligence et du corps. Le Saint Esprit remplit de sa grâce l’homme tout entier : l’âme, l’intelligence et le corps. L’âme reconnaît le Saint Esprit à sa paix et à sa douceur. .La grâce du Saint Esprit est si douce et la miséricorde du Seigneur est si grande qu’on ne peut les décrire. Oh ! le Saint Esprit est doux plus que tout ce qui est sur terre. C’est la nourriture céleste, c’est la joie de l’âme. Le Saint Esprit nous rend forts Le Saint esprit, sur la terre, vit en nous et nous illumine.
Analyse des traductions du Notre Père
|
|||||||||