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L'ANCIEN RITE DES GAULES
image de la liturgie céleste

Klaus Gamber
Traduit par le R.P. Michel de Bois-Aubry et T. Girard

Extraits

La multiplicité des formes liturgiques fut une caractéristique de l'Eglise primitive, comme l'a montré A. Baumstark (1). On assista plus tard à une unification, ou à une adaptation réciproque, des différents rites, ayant pour origine la prééminence spirituelle qu'occupa dès le début la ville de Jérusalem, "la cité de notre Dieu" (Ps 48*2). Cette tendance se renforça ensuite par la prééminence prise par les deux foyers ecclésiastiques : Rome et Constantinople; ces deux villes, capitales de l'empire depuis le règne de Constantin, acquirent de plus en plus d'influence.

Les papes de Rome tentèrent à partir d'Innocent ler (402-417) de réaliser l'unité des formes du service divin dans leur aire juridictionnelle en tant que patriarches d'Occident; c'est ce que montre la célèbre lettre de ce pape à l'évêque de Gubbio, et qui culmine dans cette fameuse phrase : "Opportet eos (les Eglises occidentales) hoc se qui quod ecclesia romana custodit" - il est de leur devoir de se conformer à la tradition observée par l'Eglise romaine (2).

Le pape Grégoire le Grand (590-604) constitue une louable exception que résume sa phrase : « In una fide nil officit ecclesiae consuetudo diversa » - là où règne l'unité de la foi, des usages liturgiques différents ne sauraient être dommageables à l'Eglise (3).

Malgré les tentatives d'unification de certains papes, l'Occident put conserver jusqu'au VIllème siècle une grande diversité liturgique. C'est le roi Pépin le Bref qui mit fin à ce pluralisme en 754 sur son domaine, c'est-à-dire le royaume franc, en introduisant les livres liturgiques de l'Eglise romaine; il en rendit l'usage obligatoire par un édit royal. Ceci eut lieu parce que Pépin, pour des raisons politiques, voulait resserrer ses liens avec Rome. L'adoption du nouveau rite fut relativement rapide, même si de nombreuses habitudes liturgiques perdurèrent et s'intégrèrent dans un rite dit "romano-franc" (4).

Le rite précédemment en usage dans tout l'Occident, à l'exception de l'archevêché de Rome (qui comprenait essentiellement l'Italie centrale), ainsi que de l'Italie méridionale et de la Sicile (où se célébrait une liturgie grecque), est appelé rite gallican (ordo missa gallicanes) (5). Il ne se présentait pas sous une forme unique; les chants et les prières surtout étaient différents d'une province à l'autre, mais l'ordo missa était semblable pour l'essentiel et se distinguait fortement de l'ordo romain.

Il convient de distinguer
- le rite gaulois,
- l'ancien rite hispanique, dit "mozarabe", - l'ancien rite milanais, dit "ambrosien", - et l'ancien rite irlandais, dit rite celtique.
Parmi ces rites, seuls ont survécu jusqu'à nos jours le rite mozarabe (dans quelques églises de Tolède) et le rite ambrosien (dans tout le diocèse de Milan), mais ils ont été en partie conformés au rite romain .


[…] le rite gallican se veut une image de la liturgie céleste. L'idée fondamentale est ici la même que celle développée par l'épître aux Hébreux et par les premiers pères de l'Eglise, particulièrement saint Clément de Rome, à savoir que le culte de la Nouvelle Alliance comme celui de l'Ancienne trouvent leur modèle originel dans la liturgie qui se célèbre devant le trône divin. On sait que Moïse a construit, sur l'ordre de Dieu, le tabernacle et tout ce qui concerne le culte exactement selon le modèle céleste qui lui avait été montré sur le Mont Sinaï (Ex 25*40, He 8*5). Ces modèles originaux jouent également un rôle important dans l'Apocalypse de Jean, ainsi en est-il de la tente du Témoignage (15*5), de l'arche d'Alliance et du rideau (11*19), du chandelier à sept branches (4*5) et de l'autel d'or (8*3).

Ces symboles imprègnent d'une manière très particulière la liturgie gallicane; elle se sait toutefois reliée aussi à l'action liturgique décrite dans l'Apocalypse, où les "Quatre Vivants" et les "Vingt-Quatre Vieillards" offrent leurs prières et leurs actions de grâce avec les choeurs angéliques et toute l'Eglise céleste (Ecclesia coelestis) à Celui qui siège sur le trône et à l'Agneau qui semble immolé, là sont rassemblés pour le festin des noces de l'Agneau ceux qui ont été vainqueurs de la bête (Ap 19).


L'assemblée terrestre de ceux qui se sont réunis pour célébrer l'Eucharistie se sent en communion avec la liturgie céleste. Il faut ajouter la conception des pères selon laquelle notre sacrifice est transporté de "l'autel terrestre à l'autel céleste", ainsi qu'il est dit au canon de la Messe romaine : "Per manus sancti angeli tui in conspectu divinae maiestatis". Ce sacrifice se trouve ainsi consacré par la vertu de l'Esprit Saint; d'autre part, des anges descendent pour assister le Seigneur "qui semble immolé" sur l'autel sous la forme du pain et du vin, et pour chanter les louanges de Dieu en union avec les assistants.

[…] cette conception a marqué les textes et les chants de la liturgie gallicane, mais aussi quel rôle important y joue le livre de l'Apocalypse, contrairement à l'Orient où pendant longtemps il fut écarté du canon du Nouveau Testament; de ce fait il n'eut aucune influence ou presque sur la formation de l'Office divin.
De l'influence de l'Apocalypse dépend de la même manière l'aménagement des églises, en particulier les peintures de l'abside : on y représente le Fils de l'homme trônant dans une mandorle, siégeant sur l'arc-en-ciel ou sur la sphère terrestre, entouré des Quatre Vivants et souvent accompagné des chérubins, des séraphins, des anges et des apôtres. De cette manière on rendait présente aux croyants, par l'image, la
hiérarchie céleste.

[…] La perspective de la liturgie céleste et la vision du Fils de Dieu, le Tout-Puissant, comme Le nomme l'Apocalypse, trônant dans les cieux, constituent le fil conducteur de la liturgie gallicane. Elles se manifestent par conséquent aussi dans l'iconographie des sanctuaires, et en particulier dans la décoration de l'abside et de l'arc triomphal, et de toutes les parties de l'église situées dans le champ visuel des fidèles.

Le Roi de gloire (rex gloriae , trônant sur l'arc-en-ciel dans une mandorle, entouré des Quatre Vivants, occupe une place centrale dans l'abside. Cette représentation, qu'on trouve aussi très souvent dans l'enluminure occidentale, peut être considérée comme une particularité typique des sanctuaires du rite gallican. Nous la rencontrons déjà au Vème siècle dans l'église Saint-David à Thessalonique (cette ville était rattachée jadis au patriarcat occidental); sur le territoire franc, on peut citer aussi l'église abbatiale de Müstair (Graubünden) construite aux environs de l'an 800.

Même après la suppression du rite gallican au Vlllème siècle, la représentation de la "maiestas domini" est demeurée, sur son territoire d'origine, l'image absidiale la plus fréquente jusqu'à l'époque romane et, en de nombreux endroits, jusqu'au début de l'époque gothique. C'est ce que montrent de très nombreux exemples, plus particulièrement en Espagne et dans le Tyrol méridional.

[…] Comme le fait ici sainte Hildegarde, la liturgie gallicane insiste toujours dans ses prières, ses lectures et ses cantiques, sur l'union de l'Eglise du ciel avec l'Eglise de la terre. Les participants au service divin savent que le Christ qui a été élevé Se trouve pourtant au milieu d'eux, Lui dont l'image est sous leurs yeux dans l'abside (plus tard, à partir de l'époque gothique, on a insisté davantage sur le coté douloureux du Sauveur). Les fidèles se sentent déjà dans le temple de gloire (Dn 3*53); pour eux qui regardent "non au visible mais à l'invisible" (2 Co 4*18), les portes de la Jérusalem céleste sont grandes ouvertes, ils prennent déjà part aux noces de l'Agneau avec l'Eglise son épouse (Ap 9*7 et chantent l'alleluia qui n'aura pas de fin.



Notes :
1. A. Baumstark, Vom geschichtlichen Werden der Liturgie (Ecclesia orans 10), 29-57.
2. Innocent I-, Ep. 25 (PL 20, 552B).
3. Grégoire le Grand, Ep. 1, 43 (PL 77, 497C).
4. Cf. Th. Klauser, Die liturgischen Austauschbeziehungen zwischen der römischen und der fränkisch-deutschen Kirche vom 8. bis zum 11. Jh., in : Hist. Jahrbuch 53 (1933),169-189.
5. Cf. K. Gamber, Ordo missa gallicanus. Der gallikanische Mefritus des 6. Jh. (= Textus patristici et liturgici 3, Ratisbonne, 1965.)

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